Le Taj Mahal dans les brumes…

Enquêtes inquiètes (2)

Le Taj Mahal à l’aube.

Selon l’OMS, parmi les dix villes dont l’air est le plus pollué du monde, il y a neuf villes indiennes. Et parmi ces neufs villes, nous en avons visité deux – Varanasi (4ème ville la plus polluée du monde et qui pour l’instant remporte pour nous la palme de la pollution sonore), Agra (9ème) – et nous allons visiter 2 autres cités « mieux classées » – Jaïpur (14ème) et Jodhpur (17ème).
Ces quatre villes sont considérées comme des joyaux de l’Inde. Elles sont en péril. Les habitants qui y vivent sont en péril. Il a suffi de quelques heures à peine pour que nous nous mettions à tousser, alors imaginez l’état de ceux qui y vivent à longueur d’année! A longueur de vie!

La façade ouest du Taj Mahal vue de la mosquée.

Une des sept merveilles du monde moderne, le Taj Mahal, est aussi en péril. En 2016, parce que la pollution l’avait jauni, on lui a fait un masque de boue. Il a subi la pression d’échafaudages durant six mois. Depuis, il brunit et verdit. En cause, la pollution atmosphérique et les excréments de moustiques. La Yamuna voisine, une des sept rivières sacrées de l’Inde est tellement polluée par les nitrates et autres poisons que les algues pullulent, attirant des nuées de moustiques.

Le réchauffement climatique provoque par ailleurs un assèchement de la Yamuna, si bien que la terrasse où a été érigé le Taj Mahal, sur des fondations en bois, s’affaisse lentement. Le très grand nombre de visiteurs par jour accentue ce phénomène. Les plus alarmistes prédisent la chute des quatre minarets dans les années à venir. La cour suprême indienne a sèchement interpellé le gouvernement sur sa part de responsabilité: « Nous ne savons pas si vous avez ou non l’expertise dans ce domaine et même si vous avez les compétences, vous ne les mettez pas en œuvre, ou peut-être que vous ne vous en souciez pas du tout ».

Le gouvernement a donc augmenté les droits d’entrée et limité le nombre de visiteurs quotidiens à 40.000. Jusque-là, il y avait en moyenne 15000 visiteurs par jour dans la semaine et jusqu’à 70.000 le week-end, en grande majorité indiens. La mesure n’est donc effective que deux jours et ne concerne en fait que les indiens. Lorsque le quota de 40.000 visiteurs est atteint, les indiens n’ont plus le droit d’entrer, mais les occidentaux si, ce qui rend la mesure caduque et quelque peu absurde.

Pendant des années, l’afflux de visiteurs au Taj Mahal a permis de préserver le monument grâce aux sommes collectées. Aujourd’hui, c’est l’inverse qui se produit: le trop grand nombre de visiteurs le met en péril. C’est là tout le paradoxe du tourisme de masse. Si l’on veut réellement préserver le Taj Mahal, il faudra imposer des quotas beaucoup plus contraignants.

En attendant, le touriste occidental qui vient visiter le Taj Mahal doit payer un droit d’entrée 22 fois plus élevé que les indiens et n’a le droit de rester que trois heures. On pourrait se réjouir de cette mesure qui permet aux Indiens d’accéder à un monument qui leur appartient, mais c’est un trompe-l’oeil. Les droits d’entrée pour les indiens ont été multipliés par deux, passant de 25 à 50 roupies, ce qui réduit les visiteurs aux classes les plus aisées.

Un peu jauni…

J’ai vu le Taj Mahal pour la première fois en 1996. Le marbre était d’un blanc éclatant et le ciel bleu. Depuis, le Taj Mahal s’est terni et le ciel au-dessus d’Agra n’est plus jamais d’un bleu franc. L’air est plein de microparticules qui font du coucher de soleil une asphyxie. On le voit très bien sur les photos: le ciel est terne et sans nuances. Certains jours, le Taj Mahal est entièrement voilé par une brume sale qui n’a rien de romantique.

La face nord du Taj Mahal au coucher du soleil vue depuis l’autre rive de la Yamuna.

Pourtant ce monument reste une merveille. On ne sait par quelle magie ce bloc massif de marbre blanc semble en lévitation. Il a une étonnante présence, une aura que la pollution ne parvient pas à ternir. D’où qu’on le regarde, qu’on l’embrasse totalement du regard ou qu’on en ait qu’une vue partielle, il est beau.

Qui veut voir le Taj Mahal dans des conditions à peu près décentes devra se lever très tôt pour être là au lever du soleil et profiter en paix des nombreux oiseaux et écureuils qui habitent le parc.

Ensuite viendront les hordes de selfistes venus là non pas pour photographier le Taj Mahal mais pour SE photographier devant le Taj Mahal. Une pollution d’un nouveau type: le fog des selfistes est plus épais que les fumées d’hydrocarbures, et tout aussi irritant.