Thaïlande, épisode 2

Dans la nasse

Nous avons quitté le Cambodge le 10 mars pour entamer une descente qui devait nous conduire à Kuala Lumpur en Malaisie, où nous étions censés prendre un avion pour la Nouvelle-Zélande, via l’Australie. Entre temps, il s’agissait de visiter un peu la Thaïlande du sud et ses îles, à commencer par Koh Tao, paradis des plongeurs, à ce qu’on dit…

Arriver à Koh Tao n’a pas été de tout repos! Il a d’abord fallu prendre un bateau depuis l’île de Koh Rong jusqu’à Sihanoukville. Là, notre route et celle de mon frère Christian se sont séparées, lui préférant rester au Cambodge. Nous sommes arrivés au port 20 minutes après le départ supposé de son bus pour Kampot, mais l’agence qui lui avait vendu le billet a appelé un coursier et il est parti avec un gros sac, sur un scooter, à la poursuite de son bus dans les rues perpétuellement en travaux de Sihanoukville.
Quant à nous, nous avons pris à 19 heures un premier bus avec couchette jusqu’à Phnom Penh, puis un second, à deux heures du matin jusqu’à la frontière thaïlandaise. Là, un minibus nous a conduits jusqu’à la gare routière de Bangkok où nous avons pris un tuk-tuk pour le centre ville. Nous sommes arrivés juste à temps pour prendre un nouveau bus de nuit pour Chumphon, puis un bateau pour Koh Tao au petit matin. 38 heures de voyage en tout, ce n’est pas le record mais quand même!

Koh Tao, c’est un peu comme Koh Rong : il y a la plage de Sai Ree, un endroit animé et festif, très touristique, avec bars à hôtesses et large éventail gastronomique, et il y a d’autres baies plus secrètes et moins fréquentées. C’est là que nous sommes allés, évidemment. Mais autant le dire tout de suite, il n’y avait de toute façon pas grand monde sur l’île, coronavirus oblige, encore…

Nous nous sommes installés à Chalok Bay, à quelques mètres de la mer. Palmiers, sable blanc, mer turquoise, rochers et couchers de soleils de l’ambre à l’orange.

Nous louons des masques et des tubas et les deux premiers jours nous explorons la Shark Bay, qui comme son nom l’indique est censée abriter des requins à pointe noire. Mais à part une ombre brièvement aperçue, nous n’en verrons pas. Il y a d’autres poissons bien sûr, mais la visibilité n’est pas extraordinaire et surtout, il faut d’abord traverser un champ de coraux morts, sinistre et déprimant.

Champ de coraux morts
Un désastre…

Le réchauffement climatique et la surfréquentation ont fait leur triste office. Incompréhensibles (et stupides) touristes qui font des milliers de kilomètres pour faire du snorkeling et qui marchent sur les coraux, détruisant ainsi ce qu’ils sont pourtant venus voir… Il y a seulement 36 ans, l’île était encore déserte et les fonds marins parfaitement intacts…

Les effets du tourisme de masse…

Le troisième jour, nous partons très tôt et à pied pour la plage d’Ao Leuk, censée être payante ; elle ne l’est pas en ces temps de disette touristique, le restaurant qui perçoit les droits ayant peur de faire fuir les quelques clients potentiels.
L’endroit est désert en ce petit matin clair et la mer transparente.
C’est l’anniversaire de Célia et comme cadeau, le hasard va lui offrir des requins!

Requin à pointe noire

Nous ne nous attendions pas à en voir ici, la surprise est d’autant plus grande! Passé le premier frémissement – car quoi, ce sont tout de même des requins! – c’est l’excitation qui l’emporte. Si au début nous les observons de loin, nous n’hésitons bientôt plus à les poursuivre, dans la mesure de nos piètres moyens.
Nous passons la journée à explorer les fonds marins pour tenter d’en apercevoir encore.

Des requins, nous en verrons encore le lendemain dans la baie de Hin Wong, à quelques mètres du rivage, et en nombre. Un groupe de treize requins patrouille autour d’un rocher. Le spectacle est fascinant. Ils passent si près qu’on pourrait les toucher.

Nous explorerons encore d’autres baies, d’un bout à l’autre de l’île, en quête de poissons encore inaperçus.

Mais au fil des jours, notre enthousiasme faiblit. Il faut dire que nous avons quelques soucis. Le coronavirus nous a rattrapés. En France, la situation se dégrade. A cause d’un rassemblement religieux, le nombre de cas a explosé en Malaisie ; le pays ferme ses frontières. Adieu nos vols pour Gold Coast en Australie puis pour Auckland (nous obtiendrons peut-être des vouchers, des avoirs auprès de Air Asia et Easy Jet, mais serviront-ils un jour?). Autour de nous, les pays se ferment les uns après les autres, l’Indonésie, le Vietnam, le Cambodge, le Laos, les Philippines… Mais la voie de la Nouvelle-Zélande est encore ouverte, à la condition pour le voyageur de se soumettre à un auto-isolement de 14 jours. Nous réservons un billet – très cher- Bangkok/Auckland auprès de la Thai Airways et cherchons à débrouiller ce que la Nouvelle-Zélande entend par auto-isolement. Nous comprenons que nous devrons nous montrer particulièrement convaincants auprès des services de l’immigration, sans quoi nous serons renvoyés du pays. Et là, alors que Célia vient de passer la matinée à chercher des hôtels acceptant d’héberger des voyageurs en quarantaine et moi à nettoyer soigneusement notre matériel de randonnée (car la Nouvelle-Zélande ne veut pas la moindre poussière étrangère sur son sol), voilà que nous apprenons que le pays ferme ses portes à son tour. Dans le même temps, la Thaïlande ferme les « lieux de convivialité », entendez pour l’instant les bars, les karaokés et les salons de massage. Désormais, pour entrer dans le pays, il faut un certificat médical de moins de 72 heures prouvant qu’on n’a pas le coronavirus et une assurance voyage couvrant les frais d’hospitalisation jusqu’à plusieurs dizaines de milliers d’euros. Mieux vaut donc ne pas en sortir!
Par ailleurs, les nouvelles que nous recevons de France ne sont pas bonnes. Sarah, une amie qui travaille dans à l’AP-HP (Assistance Publique – Hôpitaux de Paris) est en première ligne. Nous savons avant la plupart des français que le confinement va être décrété, et qu’il va durer longtemps car le pic de l’épidémie n’est pas attendu avant fin avril. A quoi bon rentrer pour aller se confiner? Où d’ailleurs? Nous sommes SDF! Chez l’une ou l’autre de nos mères? Et pourquoi chez l’une plutôt que l’autre? Cornélien dilemme!
En tout état de cause, nous n’avons absolument pas envie de rentrer. Après presque neuf mois de liberté totale, on le comprendra, nous sommes assez réticents à l’idée d’entrer en cellule! Et non, nous ne sommes pas inconscients. Pour le moment, la Thaïlande est, d’un point de vue sanitaire, plus sûre que la France. Les Thaïlandais portent des masques depuis des semaines et le nombre de cas est bien moindre qu’en France.
Alors évidemment, nous ne sommes pas cloîtrés comme nos familles et nos amis en France. Nous sommes sur une île paradisiaque à nous baigner dans des eaux à trente degrés, mais c’est comme si soudain le monde venait de rétrécir comme une peau de chagrin, comme s’il venait de nous être ôté. Tous les pays où nous devions aller sont désormais fermés.

On arrive sur le continent…

Dans le bateau qui nous ramène sur le continent, je suis pensif en écrivant ces mots. Je me dis que nous allons essayer de régler nos problèmes de visa, de billets d’avion avec la Thai Airways et d’aller voir des dauphins roses…
Mais au port de Donsak, l’accueil est assez particulier. On nous canalise entre des barrières pour nous conduire près d’un bâtiment, au prix de circonvolutions inutiles. Au sol, on a matérialisé trois carrés avec du sharerton, distants d’un mètre, où l’on doit se tenir en attendant qu’on nous prenne la température avec un thermomètre sans contact. La chose faite, nous tentons de sortir du port mais l’on veut nous refaire passer par le même circuit! Nous expliquons qu’on nous as déjà pris la température, on nous laisse partir. Quelque chose de nouveau se passerait-il en Thaïlande? Je regarde sur Internet. Effectivement, face à l’explosion récente de nouveaux cas de Covid-19 (à cause d’une manifestation sportive et du retour de pèlerins partis en Malaisie pour un rassemblement religieux, celui-là même qui a valu à la Malaisie de fermer ses frontières), c’est un peu la panique à Bangkok et cette panique gagne tout le pays. On se dirige vers un confinement de la capitale.
Nous devons nous rendre à un autre port, à 8 kilomètres de là, pour prendre un bus pour Khanom. Nous faisons du stop: le premier pick-up s’arrête et nous dépose près d’une gare routière. Il n’y a pas de bus pour notre destination ; nous prenons finalement deux scooters taxi, avec nos gros sacs sur le dos, jusqu’à l’entrée du port. On nous annonce un minibus pour 16h, il sera là à presque 17h. A Khanom, nous nous mettons en quête d’un logement. Juste avant d’arriver à un premier hôtel, nous sommes accueillis par de magnifiques guêpiers verts.

Guêpier

L’hôtel est fermé mais la patronne est là qui nous explique qu’à cause du coronavirus, elle a fermé et tout nettoyé. Elle passe un coup de fil pour nous trouver une chambre quelque part. Elle nous en propose une à 600 bahts (18 euros), nous déclinons, trop cher pour nous. Nous reprenons la route. Nous comprenons très vite que presque tout est fermé. Plus loin, nous croisons des occidentaux attablés devant une épicerie. Une Thaïlandaise est avec eux, elle nous conduit jusqu’au Happy Resort.

Avant de nous accorder une chambre, le gérant passe des coups de fil pour demander l’autorisation à je ne sais qui. La chambre est annoncée à 800 bahts sur un panneau, on nous la propose à 600, mais nous l’obtenons à 500. On ne va pas pouvoir rester longtemps, sauf à négocier un prix au mois. Le gérant est d’une grande gentillesse, il comprendra.

Nous sommes donc au Happy Resort, dans un bungalow en bois, frigo, petite terrasse, hamac. Il y a de l’espace. La région ne compte pour l’instant aucun cas de Covid-19. L’hôtel nous a prêté des vélos (j’ai fait réparer le mien : changement du câble et des patins du frein arrière pour 3 euros) et nous les utilisons pour aller faire nos courses et manger. La mer est à 200 mètres. La plage est pleine de coquillages, il y a des pêcheurs le soir ; avec un peu de chance nous apercevrons des dauphins roses.

Nous portons un masque sitôt que nous sortons, ne serait-ce que par respect envers les Thaïlandais qui en portent tous.

Nous avons désormais pour consigne de ne sortir que pour une courte promenade (plage autorisée) ou pour acheter à manger, comme le 1,7 milliard d’humains qui sont confinés. Notre visa s’achève le 9 avril. Normalement, nous devrions obtenir une prolongation de 1 mois, mais pour cela il va falloir nous déplacer à 85 km.

Mais que se passera-t-il le 9 mai? Où en sera l’épidémie? Y aura-t-il des liaisons aériennes, des frontières ouvertes?

Nous sommes dans la nasse, comme vous tous…