Into the Wild

Sur la piste du renard polaire.

Sur la piste de l’Isatis…

Le Hornstrandir, c’est la péninsule la plus au nord des Fjords de l’Ouest. Autrefois, les quelques habitants des lieux vivaient de pêche, de la récolte des oeufs d’oiseaux et du duvet des Eiders, mais l’épuisement des réserves halieutiques, l’isolement et les pires conditions climatiques d’Islande ont eu raison des quelques familles qui vivaient là. Dans le fond des fjords les plus cléments, on trouve encore quelques résidences secondaires, sans électricité, habitées seulement l’été.
Pour se rendre dans le Hornstrandir, on peut soit emprunter la piste 635 jusqu’à Unadsdalur puis marcher à pied pendant une semaine, soit prendre une petite vedette à Isafjördur ou à Bolungarvik et se faire déposer en zodiac – sur la plage car il n’y a pas de port – dans le fjord de son choix parmi ceux desservis. Ensuite, il faudra emprunter les sentiers de randonnée à peine marqués qui escaladent les falaises et les montagnes.

Le Hornstrandir, c’est une des zones les plus sauvages d’Europe et une réserve naturelle depuis 1975: on y trouve de très grandes concentrations d’oiseaux marins sur les hautes falaises et 260 espèces de plantes, parmi lesquelles la Renoncule des glaciers, la Linaigrette,  le Cornouiller de Suède, l’Angélique, le Géranium sylvestre, le Pavot artique… 

Le Hornstrandir, c’est surtout le territoire de l’Isatis, le renard polaire: il est venu en Islande à l’âge de glace et c’est le seul mammifère natif de l’île.

Pour tout dire, nous avions vu un documentaire sur Arte il y a quelques années, « L’été des renards polaires », cela (conjugué au fait que nous n’avions pas eu le temps d’aller dans le Hornstrandir en 2016 lors de notre bref voyage en Islande) nous avait donné l’envie de nous mettre sur la piste du renard polaire, sur les hautes falaises de l’ouest.
Nous avons donc pris une vedette à Isafjördur pour une traversée de deux heures – et encore merci à tous ceux et celles qui ont participé à la cagnotte Transhumances! On nous a déposés en Zodiac dans le fjord de Veidiley, en compagnie d’un groupe d’Islandais. Un peu naïvement, Célia se sentait rassurée d’être en compagnie de natifs dans une région réputée difficile: ici, il peut neiger en plein été et le brouillard happer le paysage au point de faire disparaître les grands kerns qui jalonnent certains sentiers. Par chance, ceux qui viennent ici sont généralement des randonneurs confirmés ou encadrés par des guides professionnels. Nous sommes partis aussitôt le pied posé à terre, les Islandais d’un côté et nous de l’autre, en l’occurrence celui que m’indiquait la carte! Les sentiers du Hornstrandir (et de l’Islande en général) n’ont aucun rapport avec les GR français: le marquage est quasi inexistant et le chemin disparaît parfois dans les tourbières ou sous les névés. Après quelques moments flous, nous avons fini par trouver le sentier. Les Islandais, eux, se sont perdus sur les escarpements, ce qui fait que nous les avons joyeusement semés. Comme quoi…


Par chance, le temps est clément et le ciel bleu. L’étape est à couper le souffle, nous traversons des champs de géraniums sylvestres, des tourbières, des pierriers, des névés sans fin, dont un particulièrement abrupt. La vue sur le fjord est une pure merveille.

Après le col, nous croisons une Islandaise qui nous demande des nouvelles du groupe arrivé en même temps que nous. Elle semble dépitée d’apprendre qu’il n’a sans doute même pas attaqué l’ascension du col d’Hofnarskard (519 mètres). Si les altitudes ne semblent pas élevées, il faut avoir en tête deux choses importantes: dans les fjords, on part toujours du niveau de la mer, et en Islande, à 500 mètres, on a les mêmes conditions climatiques qu’en haute montagne. Ainsi le seul glacier des Fjords de l’Ouest, le Drangajökull (160 km²), culmine à moins de mille mètres…
Nous arrivons à Hofn. La zone de bivouac est aménagée, trop à notre goût. Nous décidons de pousser jusqu’à Horn et bien nous en prend.

Arrivée à Hofn

Il faut d’abord longuement marcher sur la plage de sable noir, traverser une rivière à gué dans un sable volcanique mouvant- acrobaties garanties pour se sécher les pieds sans retomber dans le sable! – avant d’emprunter un sentier côtier au milieu des fleurs. Sur le sable, nous repérons des empreintes de…  renard! La tension monte.
Nous sommes venus là dans la modeste espérance d’en voir au moins un…
Peu de temps après nous être engagés sur le sentier fleuri, j’aperçois notre premier Isatis Je crie (doucement) à Célia qui filme en arrière: « Renard polaire! Renard polaire! Dépêche-toi ou tu vas le rater! » L’animal s’est arrêté pour nous observer. Il oblique sur le flanc de la falaise, jusqu’à passer au-dessus de nous. C’est un mâle occupé à marquer son territoire tous les cinq ou dix mètres…

Notre premier renard
Notre premier renard marque son territoire…

Nous sommes heureux, nous ne pensions pas avoir la chance d’en apercevoir un aussi vite… Alors que nous arrivons en vue de la zone de bivouac de Horn, constituée en tout et pour tout de toilettes sèches dans une cabane triangulaire, nous apercevons un second renard, puis des petits! L’excitation est à son comble! Nous comptons cinq renardeaux, vraisemblablement âgés d’un mois et demi. Nous jubilons! Nous sommes absolument seuls. Le terrier des renards est situé dans un petit talweg, masqué par un massif de fleurs. Nous restons à distance respectable des animaux. Dans la période critique qui va jusqu’au 31 juillet, si l’on s’approche trop des petits, ils risquent d’être abandonnés par leurs parents.

La maman
Le camp à Horn

Nous montons le camp à une centaine de mètres du terrier. D’à peine un peu plus bas, nous pourrons observer toute la petite famille sans la déranger. Nous ne tarderons pas à réaliser que le premier renard aperçu en est en fait l’heureux papa. Un des petits a un problème à une patte, malformation ou blessure, mais semble être traité comme ses frères et sœurs. Nous assistons au retour de la chasse, au nourrissage, aux jeux, à la toilette, à la sieste au soleil. Tout cela nous comble au-delà de nos espérances!  Nous apprenons à reconnaître certains des petits: le plus intrépide, le plus timide, celui qui dort tout le temps. Le soir, petit père renard vient faire un tour dans notre camp, il renifle notre réchaud, nous observe. Petite mère fait sa toilette comme si nous n’étions pas là.

Le second jour, après avoir longuement observé la famille renard, nous partons pour une courte mais très pentue randonnée de 8 kilomètres sur les magnifiques falaises de Hornsbjarg, la destination principale des randonneurs qui viennent dans le Hornstrandir; mais comme nous sommes partis tôt, et de Horn, nous avons plusieurs heures de solitude devant nous. Le temps est splendide et le paysage à couper le souffle: nous ne cessons pas de nous exclamer et de nous émerveiller, heureux d’être là et de faire ce que nous faisons…

Nous sommes de retour au bivouac vers quinze heures. Les renards dorment dans leur terrier. Ils font soudain une sortie chahutée et joyeuse et nous découvrons alors qu’ils sont en fait sept!

Ils passeront la fin de journée cachés parce dérangés par un couple d’Islandais appartenant au groupe égaré la veille, qui a poursuivi les renardeaux jusqu’à leur terrier. Nous sommes surpris et révoltés par ce comportement mais nous n’osons pas intervenir: nous ne sommes pas chez nous. Nous avons tort. Nous ne verrons plus la famille, à part un petit, brièvement aperçu par Célia…

La musique de ce clip « Une destination » est disponible sur toutes les plateformes:
https://ffm.to/lebaroufdeladiscorde_unedestination.ofp

Le lendemain, nous quittons Horn pour Höfn où nous montons rapidement le camp, le temps de comprendre que notre groupe d’Islandais égarés est là, dans le cadre d’une aventure organisée de 3 jours: lits de camp, réfectoire chauffé, petits plats livrés par bateau…

Le camp à Hofn

Nous partons pour une randonnée censée nous mener au sommet de la falaise d’Haelavikurbjarg. Le chemin est sur la carte que nous a vendue l’office de tourisme d’Isafjordur mais pas sur celle qui orne la devanture de la cabane des Rangers de Hofn: nous aurions dû nous méfier…

N°10

Sur le chemin, nous croisons notre dixième renard, occupé à marquer son territoire. Quelques centaines de mètres plus loin, il faut se hisser sur un petit épaulement au moyen d’une corde puis redescendre de l’autre côté par le même moyen, sous l’oeil de deux rochers dont l’un ressemble à un Moa et l’autre à un Sphinx mésopotamien.

Nous voilà prévenus: le lendemain, nous aurons à refaire la même manœuvre, mais avec nos gros sacs cette fois. Nous traversons ensuite une rivière sur un pont de troncs imbriqués, apportés de Norvège par la mer.

Le sentier à flanc de falaise est assez périlleux et vertigineux, mieux vaut avoir le pied sûr…  Nous croisons un couple d’oies sauvages.

Au final, nous arrivons au bout du sentier sans apercevoir celui dessiné sur notre carte. La falaise semble infranchissable. Nous rebroussons chemin…

Le lendemain matin, un renard vient nous rendre visite devant notre tente: c’est donc notre onzième.

N°11
N°12

Sur le chemin emprunté la veille, nous en apercevrons deux autres, en quête de nourriture. Puis, une fois passés le pont de troncs, nous assistons à une brève et intense lutte territoriale entre deux renards. L’intrus est violemment chassé… Alors que six kilomètres plus loin nous arrivons dans la zone de bivouac de Budir, momentanément déserte mais encore mieux aménagée que celle de Hofn, Célia aperçoit furtivement un animal qui s’est réfugié sous une des cabanes de bois. Quelques instants plus tard, une petite frimousse apparaît, petite merveille qui restera gravée dans nos rétines. L’animal est timide, s’approche puis retourne se cacher, revient, repart… Bref moment magique et hors du temps.

N°16
N°16

Nous poussons jusqu’à la zone de bivouac d’Hlöduvik, plus tranquille, avec une magnifique plage jonchée de troncs flottés et peuplée de canards.

Le camp d’Hlöduvik

Le lendemain, comme la veille, un renard vient nous rendre visite devant notre tente. Notre dix-septième!

N°17

Le 11, nous partons pour le fjord d’Heysteiri, parce que la météo est annoncée très mauvaise pour le lendemain. Nous n’avons que 16 kilomètres à faire, mais le temps donné est de 6 heures sur la portion de 13 kilomètres figurant sur la carte, c’est dire la difficulté du terrain. De fait, une fois franchi le col de Kjaransvikurskaro (436 mètres) après une longue montée dans la caillasse (et sous la pluie), il nous restera 10 interminables kilomètres où alterneront pierriers, tourbières où le sentier s’efface et où les chaussures se noient, longs névés qui finiront par avoir raison de l’étanchéité de nos Meindl de cuir, qui en ont pourtant vu d’autres au Kirghizistan et dans les Annapurna.

Dernière grande descente de névé

Un des derniers névés notamment, long de plus de 400 mètres, est particulièrement vertigineux et glissant.

Le dernier grand névé vu d’Hesteyri le lendemain: on aperçoit 3 randonneurs qui montent…

Nous montons le camp sur la zone de bivouac d’Hesteyri, entre les ruines de pierre d’un ancien bâtiment colonisé par un massif d’Angélique.

Le camp à Hesteyri

Le lendemain est jour de repos pour nous: nous partons en « randonnée promenade », d’abord à l’intérieur des terres, dans les montagnes en direction d’Adalvik, dans le brouillard et le mauvais temps qui métamorphosent le paysage, juste pour le plaisir d’errer dans les gravures en noir et blanc d’une Islande rendue fantomatique par les nuages descendus sur les ruisseaux et la neige. Tout prend alors une autre forme, et les trolls sortent hanter les lieux.

Nous suivons ensuite le littoral, plus lumineux, en direction du phare de Skéttunes.

La présence des pierres…

Alors que nous nous sommes assis sur les grosses pierres de la plage, un phoque vient en nageant longuement nous observer…

Nous avons parcouru plus de vingt kilomètres. Pour une promenade…
Nous repartons vers 18 heures comme nous sommes venus, en zodiac (non sans finir d’abîmer nos souliers, contraints de marcher dans l’eau pour atteindre le canot) puis en vedette, heureux et éblouis, et notre vœu de voir le renard polaire, le fameux isatis artique, dix-sept fois exaucé! Nous avons bénéficié d’une très bonne fenêtre météorologique: deux jours plus tard, une alerte météo est lancée qui annonce de très fortes pluies et un vent à plus de 90 km/h, le camping où nous étions à Isafjördur est inondé et la route coupée.

En définitive, nous avons marché six jours et 78 kilomètres, tranquillement. Quelque chose a changé. Exit l’envie de battre des records, de faire en trois jours et demi une randonnée que les autres mettent 6 jours à boucler, comme ce fut le cas en Islande il y a quatre ans. Je crois que nous sommes totalement sortis de la logique de performance, laquelle n’est qu’un avatar de la société de consommation: on ne se déconditionne pas du jour au lendemain…

Nous prenons notre temps, au gré de nos envies et des imprévus de la route, paisiblement. Simplement heureux.

Notre randonnée en accéléré ou les aventures du petit bonhomme mécanique…