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On demande rarement aux gens qui ils sont, mais plus volontiers ce qu’ils font dans la vie, comme si finalement nous nous réduisions à n’être que ce que nous faisons. L’un a été professeur de lettres; l’autre, infirmière. Pendant au moins deux ans, nous allons cesser d’ « être notre profession » pour devenir de simples voyageurs, des errants qui parcourent le monde sans rien faire de productif, au sens où l’entend notre « civilisation ». Nous ne partons pas en vacances car qui dit vacances, dit travail, et donc salaire. Nous n’aurons ni travail ni salaire. Nous n’aurons pas non plus d’adresse puisque nous ne laissons derrière nous ni maison ni appartement. Nous n’aurons donc pas de trousseau de clés pour alourdir nos poches. Nous partons avec chacun un sac sur le dos. Notre toit sera une petite tente de bivouac. Pourquoi faisons-nous cela? Parce qu’on en a envie! Et c’est la meilleure des raisons! Combien de fois dans nos vies sommes-nous vraiment en mesure de faire ce dont nous avons envie? Nous partons aussi pour voir un peu le monde! Pour rire et nous amuser. Pour profiter de la beauté des êtres et des choses. Pour être libres de notre temps. Parce que la vie, c’est maintenant! Alain & Célia

De Constanţa à Florina

Analepses et digressions

Florina, c’est la ville la plus froide de Grèce. Je ne sais pourquoi cette cité étagée me rappelle Darjeeling ou Gangtok, peut-être à cause du froid justement, ou des immeubles délabrés, ou bien encore à cause des montagnes par-dessus la ville. Nous  sommes à l’hôtel le moins cher du coin, car hier, nous avons été une nouvelle fois lessivés par la pluie. Des murs et un toit, c’est bien de temps en temps. Nous avons donc transformé les lieux en buanderie. Nos vêtements sèchent un peu partout, sur les radiateurs et les trois cintres trouvés dans le placard. Le lendemain, il fait beau, on cuisine sur le balcon étriqué.

Nos vélos ont été remisés dans un coin de ce qui fut jadis la salle où les clients prenaient leur petit-déjeuner. Toute la ville respire le « jadis », le désuet ; un nombre incroyable de maisons menace ruine, la crise de 2010 est passée par là, mais sitôt qu’on s’approche du marché municipal, c’est une autre ville, animée, orientale.

La Grèce, c’est déjà l’orient, café à la grecque (le même qu’à la turque), baklavas, gyros… Nous l’avons parcourue du sud au nord, la Grèce, 1350 km. Toujours à vélo.  Depuis Athènes, nous ne comptons plus en kilomètres, mais en dénivelé! 1000 mètres par jour en moyenne… Mais avant d’arriver là, il y a eu la Bulgarie, la Turquie, Chios… De l’eau a coulé sous les ponts, comme on dit, et j’ai un peu négligé ce blog…

Figurez-vous que c’est sous le porche de la petite église d’Analepse (cela ne s’invente pas) et sous le regard des muses du Parnasse, que je me suis enfin décidé à revenir en arrière pour vous raconter un peu (seulement un peu) les mois écoulés, le nom des lieux m’y invitait. Et c’est bien là d’ailleurs que Célia et moi nous sommes retournés pour considérer notre voyage. La nuit à Analepse avait été douce et silencieuse, sans bruit de moteurs ni aboiements, juste le chant des oiseaux, et c’était exceptionnel dans notre périple, oui, très exceptionnel. Notre maison est une tente que nous plantons où nous pouvons. Nous sommes des campeurs sauvages, dans les marges,  les terrains vagues, les parcs et, depuis la Grèce (et la pluie) les églises. Très récemment, nous avons posé notre tente sous un kiosque, dans le parc d’une église, à la périphérie d’un village rendu riche par la production d’un safran rouge à 12 euros le gramme. C’était le grand luxe! Il y avait de l’eau, des toilettes et deux barbecues en pierre, oui, dans le parc de l’église, fréquenté le soir par des buveurs de bière…

D’autres fois, nous avons dormi à la belle étoile, notre matelas posé sur une simple bâche. Je reviendrai sur les sujets du matelas et de la bâche. Je parlais du silence. Force est de constater que nous ne l’avons guère croisé sur notre route. Même dans des endroits isolés, qui nous semblaient calmes à la fin du jour, les nuits se sont révélées bruyantes. La faute en est aux voitures et autres nuisances à moteur, aux chacals et surtout aux chiens. Ces derniers nous ont bien pourri la vie, de jour comme de nuit.



Michel de jour n’aime pas les vélos!

Le fait est que nous avons rencontré plein de Michel. Que ceux qui ne savent pas ce que sont les Michel aillent lire « Tous les chiens s’appellent Michel ».
Parce que non contents de cotoyer incessamment des chacals qui piaulaient, nous avons aussi croisé énormément de chiens errants, dont la plupart en voulaient à nos mollets, certes fort musclés et appétissants après x milliers de kilomètres à vélo! Alors que nous sommes paisibles et pacifistes, nous avons été obligés de nous munir de caillasses. Et dites-vous bien que ce n’est pas simple de jeter un gadin en tenant le guidon d’une seule main alors qu’on a des sacoches avant chargées de bananes et de boîtes de thon… J’ai même confectionné un spray au poivre… qui n’a jamais servi (si ce n’est à marquer notre territoire autour de la tente pour éloigner les chacals).

Dans ma sacoche de guidon, j’ai aussi un caillou fétiche que je n’ai toujours pas jeté. Il est là au cas où… Bon, j’ai aussi une noix fétiche (à manger en cas de famine).

Force est de constater que Michel n’aime pas les vélos. Du moins Michel n’aime pas  l’association humain/vélo et uniquement cela, car sitôt que l’humain descend du vélo, le Michel fait moins le malin!

Michel de nuit aboie on ne sait pourquoi

Première nuit en Turquie, nous avons planté la tente au bord d’un champ, juste au-dessus du lit d’une rivière à sec. Le concert d’aboiements commence assez tôt dans la nuit, de plus en plus fort. Puis les aboiements deviennent grognements agressifs, tout proches de notre tente. Vers deux heures du matin, je sors, seulement vêtu d’un boxer très seyant, de baskets, d’une lampe frontale et de caillasses. Je suis cerné de chiens. Je ne vois que leurs yeux, rendus maléfiques par les lumens de ma frontale. Damned! Je suis entouré par une meute de chiens des Baskerville! Et ce ne sont pas de petits cabots à leur memère, hein! mais de gros mâtins avec plein de dents. N’écoutant que mon courage, je fonce sur les Michel Baskerville des champs en hurlant comme un sauvage et en jetant des gadins au petit bonheur la chance. Ouf! Les Michel se sauvent sans demander leur reste! Mettez-vous à leur place! Qu’auriez-vous fait si vous aviez vu un point très lumineux et bruyant foncer sur vous en pleine nuit,  hein?

Entre Constanţa (Roumanie) et Sığacık (Turquie), il ne se passera quasiment pas une journée sans que nous ne soyons coursés par des Michel. Michel des carrefours, Michel des villages, Michel des plages, Michel des bois, Michel des ronds-points, Michel des parcs, etc. Il y a des Michel absolument partout. Ils sont aussi bruyants et mal élevés que les hommes…

Du coup, sur l’ile de Chios où au final nous aurons hiverné deux mois et demi, nous avons adopté tous les chats de Lithi! Milouche, ainsi nommée parce qu’elle était borgne, a même eu l’idée saugrenue de venir faire ses petits dans notre lit…

Mais en Grèce, les chiens sont totalement insensibles au sobriquet de Michel; en revanche, ils réagissent assez bien quand on les appelle Kamoulox. Ne me demandez pas pourquoi, c’est comme ça. Le Kamoulox grec aime bien gueuler la nuit. Il discute avec les Kamoulox des environs (et il y en a des dizaines), raconte des histoires, vous fait croire qu’il dort, regueule. Il ne s’endort qu’aux environs de quatre heures du matin, heure à laquelle les coqs prennent le relais, ce bien avant le lever du jour; c’est une légende, ça, le coq qui annonce le début du jour, il annonce juste la fin de votre nuit.


Qui veut devenir Bulgare?

Nous avons donc traversé la Bulgarie. Ce n’est pas un pays très riant. La Bulgarie nous a fait l’effet d’une nation dépressive. Le fait est que le pays connaît un dépeuplement très marqué, l’écart entre le taux de natalité et le taux de mortalité donne à la Bulgarie le plus faible taux de croissance démographique de toute nation souveraine dans le monde (-0,78 %)
La population a chuté de 11% en 10 ans. Les campagnes sont désertes, parsemées de maisons abandonnées (certaines à vendre pour 3000 euros avec 1000 m2 de terrain). Le pays est si dépeuplé que le gouvernement a facilité l’acquisition de la nationalité Bulgare. On peut devenir Bulgare en 3 mois, à condition d’être blanc et de ne pas venir du sud…

les villes s’éteignent très tôt: les restaurants ferment à 18h et ensuite il n’y a plus personne dans les rues, tout le monde chez soi!

Même à Varna, nous avons du mal à trouver quelque chose d’ouvert. Les jeunes ont quitté le pays pour l’Europe occidentale, les États-Unis ou l’Australie. Il reste surtout des pas tout jeunes!
La côte de la mer Noire, en revanche, a vu fleurir des villes factices constituées d’immeubles avec piscine, uniquement peuplées l’été (notamment de russes) et donc totalement désertes au moment où nous les traversons. Par chance, la côte n’est pas (encore) totalement bétonnée et nous parvenons à trouver des endroits tranquilles où bivouaquer.

Exception plus animée (en journée) Burgas au bord de la mer Noire où nous sommes obligés de retourner 2 fois (en bus) pour faire réparer une roue voilée (j’ai voulu réparer moi-même en resserrant un rayon et je n’ai réussi qu’à accentuer le phénomène). C’est Célia qui retourne seule chercher la roue réparée et avec l’intention d’acheter un appareil photo car le nôtre est en train de rendre l’âme. Dans Le magasin High Tech où elle se rend, il y a 15 vendeurs et une cliente (elle!). L’appareil que nous convoitons n’est plus en stock. Il ne reste que le modèle d’exposition, sans boîte, sans batterie, sans notice et sans ristourne! Le vendeur s’en bat les steaks de Célia, il retourne discuter avec ses quatorze potes. Nous avons toujours notre petit Sony qui déconne…
Notre traversée de la Bulgarie s’achève dans les montagnes, et ça grimpe!

Arrivés à la frontière turque, nous sommes pris en charge par un douanier qui nous fait doubler toute la file de voitures en attente. Nos passeports sont tamponnés sans la moindre fouille.
Et hop! Première nuit en Turquie, entourés de Michel (cf. plus haut.)
La traversée de l’ancienne Thrace est fort longue et ennuyeuse: des champs et encore des champs.
Cela va mieux sitôt que nous traversons les Dardanelles pour entrer en Asie. Mer Egée. Ville de Troie. Gens accueillants. L’Orient, quoi.

Là, nous allons passer une partie de notre hivernage.

Puis ce sera la Grèce…


Aux premiers jours du printemps, nous avons traversé la mer et repris la route. Athènes, Epidaure, Monemvasia, Sparte, Mistras, Delphes, les Météores…

La Grèce au printemps est un étalement de fleurs et de vie.

Voilà que nous sommes en passe d’entrer en Macédoine du Nord, un des pays nés de la dislocation de la Yougoslavie…
En attendant, nous sommes à Florina, et, allongé sur le lit de ma chambre d’hôtel, je relis les brèves notes que j’avais écrites à Analepse (on y revient!), ce dont je devais parler parce que cela constituait quelques uns des fils conducteurs de notre voyage.
J’avais noté:

  • le silence
  • les chiens
  • la bâche
  • Le matelas
  • la gentrification du camping
  • les fossés, les ordures.

Bon, le silence (son absence) et les chiens, on va considérer que c’est fait.
La bâche, le matelas, cela va plus ou moins ensemble.
Lorsqu’en 2017, nous avons commencé à sérieusement envisager de partir, j’ai fureté à droite et à gauche pour savoir quel matériel mettre dans nos sacs à dos. Par le jeu des clics, je suis tombé sur la vidéo youtube d’un survivaliste. Le gars partait survivre en forêt tous les week-end, et on voyait tout de suite qu’il connaissait la forêt parce qu’il portait une chemise à carreaux et avait une hache. Bref, le type te construisait un camp scout en rondins en moins de deux, avec table, banc et cabane, mais sans toit. Là, le gars sortait une bâche et disait: « La bâche, c’est la base de la survie! ». OK, je retiens. Ensuite, il se préparait un tournedos Rossini. Authentique! Grande leçon! En cas de fin du monde, penser à prendre une bâche, des tournedos bien épais, du foie gras et du Whisky à flamber! On reparlera du Whisky quand j’en viendrai aux fossés.
N’empêche, j’ai retenu la leçon. Pour ce voyage à vélo, nous sommes partis avec des bâches parce que les bâches, c’est la base de la survie.
Voici quelques exemples d’utilisation:

  • – Bâche pour fermer le côté d’un kiosque exposé au vent et à la pluie. Notez aussi au passage l’utilisation d’un fil à étendre le linge en corde de parapente, qui m’a été donné par mon parfait homonyme, un Alain Mascaro photographe et pilote de paramoteur.
  • – Bâche en mode tarp:
  • – Bâche pour protéger les vélos (première façon). A noter que ce système sert aussi à protéger le linge qui sèche par temps de pluie.
  • – Bâche pour protéger les vélos (seconde façon) et l’entrée de la tente.
  • Bâche pour protéger les vélos (troisième façon, la plus fréquente en fait)

-Bâche pour protéger nos sacoches:

  • – Bâche pour protéger du sol en cas de nuit à la belle étoile:
  • – Bâche en mode cabine de douche (1)

Bâche en mode cabine de douche (2)

– Bâche pour réparer notre matelas pour la 15ème fois.

Comme vous le voyez sur la photo ci-dessus, nous avons eu quelques soucis avec notre matelas – avec nos matelas serait plus juste. Ceux que nous avions au début de notre voyage (et qui étaient déjà le résultat d’un échange pour cause de défaut) n’ont pas tenu le choc, nous avons dû acheter un matelas à Budapest, lequel n’a malheureusement pas été à la hauteur de nos espérances; disons qu’il n’a pas supporté la pression! Pas de crevaisons, mais des fuites… 15 à ce jour! Réparées avec des morceaux du sac étanche brûlé par l’esprit de la bouse (lire: Histoire d’eaux 2 ) et de la colle Seam Grip (à mon sens plus utile dans la panoplie du survivaliste que le tournedos Rossini). Parfois, nous avons dû regonfler 3 fois par nuit, ce qui, ajouté aux aboiements des chiens, piaulements des chacals, bruits des moteurs, etc., n’a pas facilité notre récupération…
Malgré cela, je crois que nous préférons de loin la rudesse de notre matelas pneumatique (même dégonflé) à la mollesse des matelas de lit. Les rares fois où nous sommes allés à l’hôtel ou dans un logement AirBnb, nous avons trouvé qu’il faisait trop chaud et que les matelas étaient mous comme des chamallow! Notre ensauvagement s’est accentué, je le crains!

Lorsque les nécessités de l’hygiène corporelle et vestimentaire nous contraignent à fréquenter les campings, nous sommes effarés par ce que nous découvrons. Les campings sont désormais quasi uniquement peuplés de camping-car, ce qui est quand même d’une absurdité crasse! Des machins à double essieu (je vous renvoie à l’excellent post Facebook de Frédéric Ploussard sur les vieux à double essieu et je vous recommande par la même occasion la lecture de son premier roman, « Mobylette », récemment sorti en poche chez Pocket, et du second, « Tout blanc » qui sortira en août: je connais une partie du pitch, on va se marrer!) censés être autonomes mais qu’on retrouve tous branchés aux bornes électriques des campings, et dont les propriétaires vident tous les matins le réservoir chimique à caca dans le trou prévu à cet effet. Et on se montre mutuellement son gros camion, et ceux qui ont les plus gros ne parlent pas à ceux qui ont seulement des petits fourgons (véridique!) En Grèce, nous n’avons croisé que quelques campeurs avec tente, des cyclistes comme nous; tous les autres étaient des camping-car, allemands ou hollandais en grande majorité. Certains campings sont désormais exclusivement réservés aux camions. Et de fait, les campings sont devenus extrêmement chers (la palme revient à l’Allemagne et l’Autriche avec des prix qui dépassent les 30 euros pour une petite tente). Cela participe de ce qu’on pourrait appeler une gentrification du tourisme. C’est un processus sournois qui est à l’œuvre dans pas mal de contrées que nous avons traversées. Le Népal, par exemple, a récemment interdit les treks sans guide. Cela signifie que seuls les plus fortunés pourront désormais s’offrir le luxe d’arpenter les sentiers himalayens. Or cette clientèle est exigeante; elle voudra des lodges tout confort, en dur, de la cuisine occidentale, etc. et les petits lodges familiaux fermeront boutique, et le paysage en sera changé. Nous avons déjà vu cela au Kirghizistan: les treks de luxe ont entraîné des villages de Yourtes en altitude, la nécessité d’acheminer de l’eau et de la nourriture, donc une érosion des sentiers et une floraison de petites déchetteries sauvages. Le trekker indépendant, lui, tout comme le voyageur à vélo, charrie ses détritus jusqu’à trouver des poubelles de tri. Le trekker encadré n’a pas à se soucier de cela, quelqu’un d’autre s’en occupe, mal…
Et voilà la dernière constante de notre voyage à vélo: les déchets, les décharges, les détritus dans les fossés. Rien de nouveau sous le soleil, mais quand on roule à vélo, à 6 km/h dans une côte à 10%, on a le temps de détailler le contenu des fossés, croyez-moi, et c’est saisissant! On trouve de tout dans les fossés! Des bouteilles en plastique évidement (la palme à la Grèce où l’on trouve souvent des bouteilles d’eau pleines et encore cachetées), des canettes en verre et en aluminium, des gobelets de café (là encore, palme à la Grèce), des fauteuils, des matelas, des outils, des passoires neuves, des casseroles, des vêtements, enfin tout et n’importe quoi! Voyez ci-dessous.

Quand on circule à vélo, on emprunte aussi de petites routes, des chemins, lesquels recèlent nombre de décharges sauvages…

Malgré cela, le monde est beau, mais force est de constater que les endroits les plus beaux sont ceux où l’empreinte de l’homme n’est pas (encore) trop profonde…

Bon, d’accord, je n’ai guère parlé de la Grèce ni de notre vie dehors, ni de toutes les belles rencontres que nous avons faites. La prochaine fois…😉