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On demande rarement aux gens qui ils sont, mais plus volontiers ce qu’ils font dans la vie, comme si finalement nous nous réduisions à n’être que ce que nous faisons. L’un a été professeur de lettres; l’autre, infirmière. Pendant au moins deux ans, nous allons cesser d’ « être notre profession » pour devenir de simples voyageurs, des errants qui parcourent le monde sans rien faire de productif, au sens où l’entend notre « civilisation ». Nous ne partons pas en vacances car qui dit vacances, dit travail, et donc salaire. Nous n’aurons ni travail ni salaire. Nous n’aurons pas non plus d’adresse puisque nous ne laissons derrière nous ni maison ni appartement. Nous n’aurons donc pas de trousseau de clés pour alourdir nos poches. Nous partons avec chacun un sac sur le dos. Notre toit sera une petite tente de bivouac. Pourquoi faisons-nous cela? Parce qu’on en a envie! Et c’est la meilleure des raisons! Combien de fois dans nos vies sommes-nous vraiment en mesure de faire ce dont nous avons envie? Nous partons aussi pour voir un peu le monde! Pour rire et nous amuser. Pour profiter de la beauté des êtres et des choses. Pour être libres de notre temps. Parce que la vie, c’est maintenant! Alain & Célia

HISTOIRE D’EAUX (2)

Bribes de voyage

Au bord du lac Balaton

Au moment où j’écris ces lignes, nous sommes seuls au « Berek Camping and Archery » à Rábagyarmat et nous venons d’essuyer un orage. Notre tente, quoique plantée sous un hangar, est bien trempée et souillée de boue. Le terrain est jonché de branches arrachées par la tempête…

Avant la tempête

Rábagyarmat, c’est la Hongrie profonde. Je suis allé faire des courses ce matin à la Coop mini et dans une autre supérette et j’ai eu l’impression de me promener dans un film de Kusturica, sans doute à cause des tziganes et des roulottes de forain que j’ai croisés. Mais il y avait autre chose encore, une atmosphère particulière qui annonçait déjà les Balkans, une certaine couleur du ciel, des « gueules » aussi, cycliste en short jaune et crocks bleues dont le vélo rose portait une plaque d’immatriculation, femme sans âge au visage de cuir qui me regardait comme si j’étais un martien, ce que je suis sans nul doute ici, moi l’étranger qui ne parle pas un traître mot de magyar.

Dans les magasins, hauts en couleurs eux aussi, j’ai trouvé d’improbables soupes lyophilisées, goût mer morte, des sardines croates, du chocolat Milka ” à la dessert au chocolat” et comme seul et unique fromage, du Medve, une sorte de Vache qui rit (enfin, un ours) version théoriquement chili, hélas très proche de l’insipide. J’avais besoin d’œufs mais n’en voyais pas, alors j’ai demandé… en anglais. Incompréhension. Ma foi, j’ai imité la poule, dans le premier magasin, puis dans le second où j’ai obtenu gain de cause grâce à un « cot cot » et un mime nettement améliorés.

Comment sommes-nous arrivés là? Par la force de nos petites jambes, évidemment. Disons que nous avions de l’avance, alors nous avons momentanément abandonné l’Eurovélo 6 à Bratislava pour emprunter la 13 sur un peu plus de 300 km, c’est à dire le « Iron Curtain trail » qui relie la Norvège à la Mer Noire, le long de l’ancien rideau de fer, donc. Le projet est de remonter ensuite le long du lac Balaton (par l’Eurovélo 14, sur 300 km ) puis, on ne sait pas encore comment, jusqu’à Budapest.
Mais avant de vous détailler la route jusqu’à Rábagyarmat, laissez-moi vous raconter un peu la journée d’hier.

Partis de Rechnitz (Autriche), nous avons franchis plusieurs fois la frontière dans un sens puis dans l’autre avant de pénétrer vraiment en Hongrie, par les montagnes, jolies petites côtes à 7%  dont un très épique passage par un sentier forestier tout en gravier et boue: 6 ou 7 kilomètres qui auraient nécessité un VTT. Nous finissons par arriver à Vetszentgotthard où nous dédaignons un premier camping trop proche d’une route à grande circulation (en Hongrie, le bivouac n’est autorisé qu’en forêt, ce qui n’est pas simple à vélo) Quelques kilomètres plus loin, un camping fort sympathique est hélas fermé. C’est aussi le cas du suivant. Nous venons de faire 88,5 km assez éprouvants: nous nous asseyons, accablés, sur la barrière qui ferme le chemin. Presque aussitôt une voiture se gare, c’est le propriétaire des lieux. Le camping est bien fermé, mais il va l’ouvrir pour nous!

Observez bien où sont les vélos par rapport à la tente…

L’avant-veille, nous avions eu le même genre d’aventure: le camping que nous avions repéré sur la carte n’existait plus, mais le nouveau propriétaire des lieux, Christoph, un luthier et musicien allemand  nous avait offert l’hospitalité de son « jardin ». Il avait racheté le camping quelques mois plus tôt  avec le projet d’en faire un music hall. Il nous a parlé de la Suède, on l’on peut camper n’importe où. Un hospitalier comme nous les aimons…

Au « Berek Camping and Archery ». Nous plantons d’abord la tente entre deux arbres. A 1,20 m d’une bouse produite par quelque indéterminé animal. Danger! Je décide d’évacuer la déjection bovine ou équine pour éviter de mettre les pieds dedans, et puis, idée saugrenue, d’assécher le terrain en y mettant le feu. C’est mon côté roi de Carmelide (comprenne qui peut). Nous avons un réchaud à essence, voilà voilà. Tout se passe apparemment bien. J’allume. Impeccable. L’essence brûle bien. Le feu finit par s’éteindre. Je me relève et là, que vois-je de l’autre côté de la tente? Enfer et damnation! comment est-ce possible? Mon vélo en train de brûler, si si, plus précisément ma veste polaire posée sur la sacoche, et accessoirement, la sacoche aussi. Où sont les pompiers? Ah ben, il n’y a que moi! J’éteins ça vite fait, mais une coulée de polaire en fusion (je rappelle que ce type de tissu est fabriqué à partir de bouteilles en plastique recyclées)  me brûle le dos de la main droite.


Comprenez bien la situation (cf schéma ci-dessus), entre mon vélo et la bouse cramée, il y a la tente. Comment le feu a-t-il pu se propager de la bouse au vélo sans toucher la tente ? Notez que c’était préférable car si tel avait été le cas, nous n’aurions plus ni tente, ni duvet, ni matelas. C’est irrationnel! Si quelqu’un a une hypothèse, je suis preneur. Alors même qu’à Bratislava nous avons croisé un parking pour Ovni (authentique), je doute que les martiens soient responsables de ce phénomène de pyrokinésie. J’attends donc vos suggestions.


Le bilan est consternant : polaire foutue, sacoche trouée en trois endroits, trousse de toilette fondue, sac  étanche contenant les affaires de réparation bien calciné aussi, main droite brûlée au second degré mais bandée avec dextérité par ma compagne infirmière. Et trois ratons laveurs.
C’est là que le frère de Mike Giver intervient, c’est-à-dire moi. Dans ma trousse, il y a du Siem Grip, la base. Avec cette colle magique et le tissu étanche du sac de réparation endommagé je répare la sacoche. Avec la poche intérieure de ma polaire fondue et la sangle de ma trousse de toilette, fondue aussi, je fabrique une nouvelle trousse de toilette; et un porte-monnaie avec l’autre poche. Et une bourse (pour ranger nos euros désormais inutiles puisque nous sommes en Hongrie, laquelle a gardé son Forint) avec le cul du sac de réparation et la ficelle de mon ancienne trousse de toilette encore.

« Ah, ah! Very ingenious man! » comme me l’a dit un jour à Jaipur un indien  en pleine séance de cinéma bollywoodien, mais c’était pour qualifier le héros du film, pas moi. But yes, I am « very ingenious »: faire cramer du super matériel pour en fabriquer du bien moisi, c’est très ingénieux, il n’y a pas à dire!


Alors bon, dans le précédent article, nous en étions à 2240 km et encore en France. De l’eau a coulé sous les ponts depuis, c’est vraiment le cas de le dire car nous avons continué à suivre le fil des cours d’eau, le Doubs, le canal du Rhône au Rhin, le Rhin jusqu’à ses chutes, le lac de Constance, le Danube quasiment de sa source jusqu’à Budapest et la rive nord du lac Balaton. Nous avons emprunté les pistes Eurovelo 6, 13 et 14 car nous aimons les détours…


4530 kilomètres pour arriver à Budapest, 4530 kilomètres à se laisser envahir par les songes, car les fleuves impassibles suscitent rêves et chimères, et les paysages finissent par se confondre « dans une ténébreuse et profonde unité », une sorte de lenteur, une sorte de langueur qui m’ont parfois rappelé les rives lentes du Mékong.
Nous avons franchi un nombre incalculable de ponts et pris deux fois un traversier…

Peut-être avons-nous fait quelques incursions dans l’autre monde, comme dans les romans de Chrétien de Troyes…


Les pays où jamais le bruit ne cesse.

A Besançon, j’ai abandonné la remorque pour des sacoches et je me suis soudain senti pousser des ailes!
Nous sommes ensuite entrés dans les pays où jamais le bruit ne cesse, à commencer par l’Allemagne. Il y avait toujours une route et des flots de voitures, une ligne de chemin de fer, un aéroport, ou tout à la fois, pour polluer nos jours et nos nuits. Mais qu’on ne s’y trompe pas, ce n’est pas le silence que nous recherchons, mais une perception possible de ce qui n’est pas le fait de l’homme justement, le souffle léger du vent, le chant des oiseaux,  le cri de quelque animal sauvage, l’imperceptible passage de la souris ou de l’insecte. Les pays développés sont ivres de bruit jusqu’à l’intolérable. Même dans des endroits reculés comme les magnifiques gorges du Danube.

Une fois, pour échapper à la pluie, nous avons dormi en fraude dans une grange d’une Jungendzeltplatz (Aire de camping pour la jeunesse). Endroit magique et presque paisible… n’étaient les convois de marchandises…

Au sec…

Le bruit nous a suivis en Autriche, en Hongrie où, même lorsque nous étions en pleine campagne, les bruits humains l’emportaient sur les autres: voitures, camions, tracteurs, tondeuses, musique, cris, meuglements des taureaux en stabulation, aboiements de chiens (car ce sont aussi des bruits humains) et très récemment au bord du lac Balaton, ronflements parfaitement incroyables d’un pêcheur – rappelez-vous la fameuse scène de « La Grande Vadrouille », qui nous ont contraints de déménager notre tente plus loin.
A l’excès de bruit s’ajoute l’excès de lumière. Les campings sont éclairés la nuit. Aurions-nous peur du noir?


Le Grand Dehors.


Depuis notre départ, nous avons passé 80 nuits sous la tente, affronté la canicule, le vent, la pluie. Après une année passée en France, dont une bonne partie entre des murs, il nous a fallu un petit moment pour redevenir (presque) indifférents à la météo. En Allemagne, un peu avant Sigmaringen, nous avons par trop dédaigné la pluie, négligeant de protéger nos chaussures et de mettre nos Goretex. Nous avons fini trempés comme des soupes et grelotant. Il a fallu aller dans une Gästhaus et transformer la salle de bain en séchoir.

Depuis, nous sommes plus prudents, mais le mauvais temps ne nous empêche en rien d’avancer.

Il pleut, et alors?

Au crépuscule, il se mit à pleuvoir violemment. Une de ces pluies lourdes d’Europe centrale contre lesquelles on ne peut lutter, qui transforment le paysage en gravures tristes et obligent les gadjé à rester chez eux, les uns contre les autres au bord de l’âtre, heureux d’avoir des murs, jetant de temps à autre un œil inquiet mais satisfait dehors, vers les espaces inconstruits et hostiles.

Anton quitta sa cachette et s’enfonça dans la nuit, sous la pluie battante et le vent qui ramenait les gouttes comme pour le mouiller deux fois avec la même eau.

Avant que le monde ne se ferme

Rencontres et amis


Tracer la route, c’est entrer momentanément dans le sillage d’autres routards, croiser de vieux amis, s’en faire de nouveaux…
A Bad Sackingen (Allemagne), nous avons passé une intense et forte soirée dans un camping à la ferme avec André et Silvia, ceux-là mêmes qui en 2020 nous avaient ravitaillés en fromages au beau milieu de nulle part, en Islande.

Bientôt 50 ans d’amitié.

Un peu plus loin, nous avons rencontrés un septuor d’allemands qui fêtaient un anniversaire. Un des couples était à vélo (électrique) et tirait une caravane (oui, oui, une caravane pour vélo). Le périple n’était pas sans assistance puisque le couple en question était suivi par un van qui transportait une incroyable trousse à outils que son propriétaire nous a détaillée outil après outil, dans un show hilarant. Il avait notamment un décamètre et un pied à coulisse électronique, très utiles en cas de crevaison, c’est bien connu! Ce soir-là, le ciel s’est embrasé.

A Donauwörth, nous avons rencontré Léa qui avait déjà fait un sacré périple. Grâce à ses conseils, nous avons pu prendre le train avec des billets à neuf euros valables un mois pour rendre visite à Guy et Lidia près de Munich.

Pas de chance, l’ascenseur est en panne…

Le trajet n’à pas été de tout repos car nous nous sommes retrouvés dans un wagon archicomble: cinq vélos et 17 voyageurs dans le sas d’entrée, ce sans que personne ne s’énerve. L’ambiance était sympathique jusqu’à ce que, lors d’un arrêt en gare, un contrôleur n’ordonne à tous les cyclistes de sortir et d’attendre un train moins bondé. Il en a fallu trois successifs avant de trouver de la place…

En gare de Munich

Nous avons passé 5 jours chez nos hôtes et amis d’Eygalières (Voir cet article), à contempler la magnifique collection de minéraux de Guy, à jouer au baby-foot, à regarder des films dans une vraie salle de cinéma, à jouer aux Aventuriers du rail, et à écrire aussi…

Chez Lidia et Guy

A Passau, il y a eu Danielle et Jean-Luc avec qui nous avons fait un bout de route (jusqu’à Vienne) et passé une chouette soirée. On se reverra…

A Vienne, nous avons été accueillis par Jean-Pierre et Michael. C’était simplement  paisible et doux. Nous avons mangé comme quatre car depuis que nous faisons du vélo, il faut nous nourrir à la fourche. Nous sommes toujours les fennecs des clapiers (cf article précédent) mais aussi les Bouffetouts de Tasmanie, formule simplifiée en « Tasmaniens » par Jean-Pierre. Merci pour les bons petits plats, et une pensée particulière de Célia pour le chien magique…

A Budapest, nous avons rencontré Winm, un incroyable américain à vélo de 80 ans, vétéran d’on ne sait combien de guerres  qui hésitait à prendre la route, un peu effrayé par le mauvais temps et puis Pierre, prof d’EPS à la retraite, en route pour la mer noire. Lui aussi a une mascotte, un certain Jaunie… J’en profite pour vous annoncer le retour imminent de Joe le Timide…

Wiener Graben

Sur la route, j’ai aussi assez souvent croisé Anton, le personnage de mon roman. A Mauthausen où je suis allé comme en pèlerinage. Dans la carrière de Wiener Graben, étrangement, planait l’ombre douce de Katok. A Vienne, puis dans la grande plaine de Hongrie et sous les averses, j’ai aussi pensé à Anton, comme on songe à un de ses vieux amis…


Nous avons tranquillement suivi la rive ouest du Balaton puis déambulé dans les rues de Budapest.

Nous sommes venus là pour le Festival européen du premier roman.

Rencontre à la Librairie Latitudes, en compagnie de Philippe Marczewski

Il s’est achevé hier, il n’y a désormais plus de contraintes à notre errance. Nous sommes le 1er octobre et nous reprenons la route, sous la pluie, pour voir un peu où finit le Danube et où commence l’Orient…

Départ de l’hôtel.
Budapest est dans la brume.
Sur la route, dans les friches industrielles de Budapest.