En Patagonie (1)

Le 26, nous sommes au bord du Lac Tranquille, le Lago Tranquilo, c’est son nom, et il le porte bien, non loin de la piste X-728 qui serpente dans la Vallée des Explorateurs jusqu’à flirter avec l’immense glacier Campos de Hielo dont nous ne voyons pour le moment qu’un épaulement neigeux presque toujours couvert de nuages.

Le ciel est bleu à droite, nuageux à gauche; il pleut et il fait soleil. C’est la Patagonie, terre des extrêmes et des extrémités; terre infinie où les paysages sont d’une incroyable profondeur.

Il suffit souvent de monter à mille mètres pour avoir les conditions de la haute montagne; tout y est démesuré;  les lacs et les rivières oscillent du turquoise à l’émeraude; les routes ressemblent à des sentiers, les arbres sont lourds de tout un peuple d’oiseaux.

Hier soir, un magnifique renard curieux aux faux airs de coyote  est venu visiter notre campement, nous espérons qu’il reviendra ce soir.

Ce qui frappe le voyageur en Patagonie, c’est la paix. Ici, il y a bien peu d’habitants, les villes sont minuscules, les fermes sont isolées, perdues, on peut faire plus de 200 kilomètres sans croiser un poste d’essence; de fait, nous charrions deux jerricans de 20 litres. La Patagonie donne un peu l’idée de ce que serait un monde, non pas sans les hommes, mais simplement plus équilibré, car notre espèce est invasive et dangereuse, elle a crû et s’est multipliée au-delà de toute mesure, elle ne respecte aucun territoire, pas même le sien. Oui, un monde avec moins d’hommes, sans les excès des laideurs urbaines, sans le bruit et la pollution; un monde où d’autres espèces ont encore leur place, même si ici aussi, elle se réduit…

Nous vivons comme des Tziganes, nos habits sentent le feu de bois, nous nous lavons à l’eau des lacs et des rivières, nous fuyons aussi. Je ne sais si nous sommes encore des errants, nous voilà plutôt devenus des fugitifs. Des clandestins. Nous tâchons de passer inaperçus, de nous glisser entre les mailles du grand chalut qui depuis bientôt presque un an enserre l’humanité comme un banc de harengs. Deux fois par semaine, le gouvernement chilien révise le statut des villes – quarantaine, transition, préparation, ouverture initiale, ouverture- et il nous faut alors revoir notre plan de route. Jusque là, nous avons eu de la chance, la nasse s’est toujours refermée derrière nous. Mais qu’arrivera-t-il quand nous serons au bout du bout de la mythique Ruta 7, la Carratera Austral (en vérité c’est une piste pleine de trous et de cahots) qui s’arrête au bord du lac O Higgins? Sauf miracle, nous n’aurons pas le droit de le traverser pour passer en Terre de Feu, il faudra remonter, louvoyer entre les villes en quarantaine ou en transition, remplir un passeport sanitaire c19 à chaque déplacement, franchir les cordons sanitaires, trouver des havres retirés pour cacher Maracas, et nous avec. Mais nous n’en sommes pas encore là.

A quelques kilomètres de notre campement se tient la petite ville de Puerto Rio Tranquilo, au bord du gigantesque lac du Général Carrera aux eaux incroyablement turquoises.

Un québécois, venu en vélo depuis le Canada et qui attend depuis 10 mois la réouverture des frontières de l’Argentine (le pauvre risque d’attendre longtemps! ) nous explique qu’habituellement il y a 2 à 3000 visiteurs par jour qui viennent ici. Présentement, il n’y a personne! Nous voyons le Chili comme peu de voyageurs ont dû le voir sans doute: tranquille et désert. En temps normal, l’afflux de touristes doit être parfaitement insupportable! J’imagine sans mal les cohortes de bateaux à moteur s’approchant au plus près des glaces bleues du Campos de Hielo. La Patagonie, terre d’aventure, terre des baroudeurs, est un mythe savamment entretenu. En réalité, tout y est cadré, organisé, souvent tarifé. Il y a bien peu de terres libres: les forêts, parfois même les rivières et les lacs sont clôturés et chaque parcelle porte son numéro de cadastre inscrit sur une petite pancarte. Cela n’ôte rien à la beauté de l’endroit, certes, et la vraie aventure est surtout celle de l’imagination. Alors nous imaginons, oui, nous imaginons…

Gloire à Maria Hernandez!
Maria Hernandez, c’est l’employée de chez Naviera Austral avec laquelle je me suis entretenu par mail durant 4 jours (nous avons échangé la bagatelle de 39 mails en tout; certains certes très brefs…). Elle a été d’une gentillesse et d’une patience d’ange, surtout le soir où nous devions prendre le bateau…
Il faut dire que tout heureux d’avoir eu nos résultats de PCR à temps à Pucon, nous avons musardé, faisant un détour pour acheter du fromage et de la bière artisanale pour Pimprenelle. Nous avions prévu de passer au bureau de Naviera Austral entre 19 et 20 heures (les bureaux ferment à 20 heures) et j’en avais avisé Maria Hernandez. De fait, à 19 heures, nous étions à 7,5 km de Puerto Montt, tout allait bien. Mais c’était sans compter sur la douane sanitaire 3 kms plus loin. A 20 heures, nous n’avions toujours pas franchi le barrage. Pendant que Célia conduisait, j’étais en contact avec Maria Hernandez, qui dans un premier temps m’a dit qu’on pourrait payer sur le bateau puis ensuite qu’il fallait absolument payer au bureau. Je l’ai suppliée de nous attendre. Ce qu’elle a fait. Nous avons eu du mal à trouver le bureau en question. J’ai couru comme un dératé un bon kilomètre dans l’avenue Angelmo de Puerto Montt avant de trouver. Il était 20h30 et Maria Hernandez m’attendait. Avec le sourire. Je lui ai promis des fleurs pour quand nous reviendrons…

Le glacier Campos de Hielo,  nous irons le voir à pied, en traversant d’abord une petite forêt pluviale. Ici comme au Kirghizstan, au Népal ou en Islande, les glaciers reculent: il faut être absurdement borné pour prétendre le contraire.

Quelques jours plus tôt (les 23 et 24), nous l’avions déjà constaté face au Cerro Castillo: la nature se retire tandis que l’empire humain avance…
Ces jours-là, nous avions prévu de faire la randonnée de Las Horquetas (54 km), mais en temps de pandémie, il faut un « guide » chargé de surveiller que tout le monde a bien son masque et se lave les mains régulièrement: voilà que l’humanité entière a cinq ans désormais et qu’on la punit quand elle n’obéit pas! Les autorités ont divisé le Parc Cerro Castillo en secteurs: on ne peut, en théorie, entrer et sortir que par le même secteur. En théorie seulement, car comme nous l’avons déjà constaté plusieurs fois, au Chili, ce qui est fermé est ouvert, et ce qui est interdit est autorisé.

Au prix d’une marche d’approche de 7 kms au petit matin, nous entrons dans le parc par le secteur qui conduit à la laguna Duff. Le Ranger nous explique bien que nous devons revenir par le même chemin. Cause toujours tu m’intéresses… L’entrée est fort chère: 30 euros par personne environ, zone de bivouac (pompeusement appelée camping) comprise. Après encore 6 km, nous montons la tente puis nous partons à l’assaut de la Laguna Duff. Nous y passerons trois heures contemplatives et silencieuses.


Le lendemain à 6 heures du matin, nous partons pour le Cerro Castillo , dans les miracles de l’aube.

Il faut pour cela franchir une passe ventée qui serpente dans un pierrier sans fin. Le temps est magnifique et la vue dégagée.

Nous ne verrons d’autres randonneurs que bien plus loin. Longtemps, nous resterons seuls à contempler les tours du château jouer à cache-cache avec les nuages…

Nous redescendons donc par un autre secteur. En chemin, nous croisons un point de contrôle: le Ranger n’est absolument pas étonné de nous voir là, il nous demande simplement nos noms pour prévenir son collègue par radio à l’autre entrée. Fin de la petite randonnée de 36 kms et 3200 mètres de dénivelé…

Le 28, un mail inattendu nous incite à prendre la direction de Cochrane, histoire d’avoir suffisamment de réseau pour une communication WhatsApp…

Cochrane, 3000 habitants, plus grosse ville du coin…

Nous nous arrêtons d’abord à Puerto Bertrand, minuscule village lui aussi sinistré par la pandémie: nous ne verrons que de rares bateaux de rafting descendre les eaux bleues et tumultueuses du Rio Baker.

Nous bivouaquons sur ses rives, dans l’incessant tumulte de ses eaux, au prix d’un gymkhana avec Maracas, fabuleux petit camion capable de passer partout. Feu en tipi, patates à la braise et même tentative de pêche à la mouche…

Le lendemain, nous partons pour le Parc National Patagonia, une réserve fondée par la famille Tompkins, propriétaire de la marque North Face. L’endroit est proprement fabuleux. C’est une vaste plaine enserrée de montagnes, semée de lacs et parcourue par des troupeaux de guanacos.

On a l’impression de traverser un reportage animalier. Ici règne encore le Puma…

Le premier jour, nous partons voir le Lago Chico, avec le Cerro San Lorenzo (3706) en point de mire, un des plus hauts sommets de Paragonie.

En fin de randonnée, nous croisons notre premier piège photographique, placé assez bas, disons à hauteur de fauve, ce qui nous laisse entendre que nous venons de croiser la piste des pumas…

Piège photographique…


Le lendemain, nous partons pour 21 km, sous le regard des guanacos sentinelles, voir les Lagunas altas.

Sentinelle…

En début de sentier, un panneau informe de la conduite à tenir en cas de rencontre avec un Puma. On se prend à espérer en voir un, si possible de loin. Nous observons les empreintes des animaux. Depuis le temps que nous sommes dehors, nous avons appris à reconnaître certaines empreintes, certaines déjections. Nous reconnaissons maintenant à leur chant pas mal d’oiseaux chiliens.

Nous voilà donc en quête de la trace d’un Puma. Après tout, dans le Horstrandir islandais, nous avions d’abord repéré les renards polaires à leurs empreintes… Sur le sentier qui prend son temps pour se hisser sur le plateau, 7 kilomètres de montée, nous ne croisons que des empreintes de renard justement, et de guanacos. Alors nous observons les crêtes, à l’affût d’une silhouette féline qui se decouperait soudain en ombre chinoise. Mais le maître des lieux ne daigne pas se montrer. Il est bien là pourtant, comme en témoignent les trois pièges photographiques que nous croisons encore… Un autre jour, peut-être…

Nous reviendrons ici sur le chemin de la longue remontée.
En attendant, nous allons prendre la route de Caleta Tortel, encore plus au sud, un village de pêcheurs où les rues sont des passerelles de bois…

2 réflexions sur « En Patagonie (1) »

  1. bonjour à vous 2 merci encore pour ce beau reportage qui nous permet de participer à votre aventure , comme vous avez eu raison de repartir !! et comme vous le dites si bien on pourrait vivre autrement sans cette opulence et ce gachi
    je pense bien à vous et vous fais plein de bisous ( on a encore le droit par message !!!)
    nini

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