La Troupe d’Escampette

Ou comment nous avons fui et sommes devenus propriétaires du van Maracas

Le van Maracas au bord du Pacifique à Pichilemu

Il y a quelques années (doux euphémisme puisque c’était dans les années 1990) au Lycée Blaise de Vigenère de Saint-Pourçain sur Sioule, j’ai eu une classe de sixième qui a elle seule aurait pu fournir une nouvelle Foire aux Cancres à quelque Jean Charles des temps modernes. Les copies étaient un délice à corriger. Entre autres perles: « Un ermite est un homme qui fait ses besoins tout seul », « J’étais pourtant aussi différente qu’une girafe », « Une ellipse est une pierre en granit qui tombe tous les sept ans », « Qui: pronom agressif » etc. Un jour, alors que dans un petit contrôle sur le théâtre, j’avais demandé le nom de la troupe de Molière, un élève a répondu: « La troupe d’Escampette ». Je pense à toi aujourd’hui, petit élève de sixième qui doit avoir presque 40 ans, car Joe, Pimprenelle, Célia et moi formons bel et bien une troupe d’Escampette, habitués que nous sommes à prendre la poudre du même nom et à faire nos malles avant de nous la faire, la malle. Oui, la troupe d’Escampette nous sommes…

On arrive en Amérique du sud…

Une voiture de Lempdes à Clermont-Ferrand, un bus pour la gare routière de Perrache, un autre pour celle de La Pardieu, une navette pour l’aéroport, un avion pour Madrid, un avion pour le Chili, un bus pour la gare routière de Santiago (nous n’avons que 24 heures pour quitter la zone métropolitaine car elle est en phase 2, phase juste avant le confinement), un autre pour Valparaiso. Le temps d’acheter quelques cerises au marché, nous remontons dans un bus de ville jusqu’au l’arrêt Puerto et découvrons  les escaliers et les rues tortueuses qui conduisent jusqu’à la Galeria B&B, notre gîte pour quelques jours, le temps d’accomplir les démarches nécessaires à l’achat d’un petit van…

Valparaiso

Valparaiso, c’est une ville tentaculaire qui dévore les collines au-dessus du Pacifique. Il y a la ville ancienne avec ses maisons de bois ou de pierre souvent recouvertes de tôles peintes de couleurs vives et la ville nouvelle, avec ses sordides concrétions d’immeubles qui dépassent. Certains quartiers sont mal famés et mieux vaut ne pas s’y aventurer si on tient à garder son appareil photo et son portefeuille. Rémi, un français voyageur installé au Chili et qui travaille à La Galeria B&B nous indique les coins à éviter. Nous voilà partis!
Au programme, empanadas et graphitis. Les rues de la ville haute sont désertes.

A l’approche du solstice d’été, la lumière y est incomparable. Il n’y a aucun touriste. Il y règne une étrange atmosphère surannée, comme si la ville avait la nostalgie d’elle-même, de ce temps où elle était vraiment un paradis.

Les marches des grands escaliers, les palissades et les façades sont recouverts de graffitis et de fresques immenses.

A Valparaiso, les murs parlent; souvent ils crient. Colère, violences militaires ou policières, incurie de l’état, corruption…

Deux mois plus tôt, de grandes manifestations lycéennes et étudiantes ont eu lieu contre l’augmentation des prix des transports à Santiago puis se sont étendues à d’autres sujets sociaux et à l’ensemble du pays.

Le président milliardaire Sebastian Piñera, refusant d’entendre les revendications sociales mais stigmatisant les actes de vandalisme (ça ne vous rappelle rien?) a déployé les chars et décrété l’état d’urgence. Cela n’a fait que jeter de l’huile sur le feu. Le 25 octobre 2020, un référendum a finalement plébiscité la nécessité de réécrire la constitution, laquelle date de Pinochet. Reste à l’écrire. Mais cela résoudra-t-il les problèmes de fond? On peut en douter…

Nous aimons les villes où les artistes de rue peuvent s’exprimer librement (voir par exemple: D’Amsterdam en Allemagne) Ici, les fresques sont partout et on n’en finit pas d’en détailler les motifs ou d’en découvrir de nouvelles au coin d’une rue, qu’on n’avait pas vues la veille, simplement parce qu’on n’avait pas levé le nez ou au contraire parce qu’on l’avait trop levé.

Le lendemain, samedi, nous nous rendons en bus à Laguna Verde pour essayer Pingu, un van que nous avons repéré avant de partir, grâce aux réseaux sociaux. La pandémie nous contraint à nous adapter: les transports en commun deviennent hasardeux et le stop très difficile, alors pourquoi pas un van? C’est un peu un pari sur l’avenir, mais baste, nous verrons bien quand il s’agira de le revendre. Pingu est en dépôt chez Jérôme, un français qui s’est installé au Chili. Il aménage des vans et se charge de revendre ceux des voyageurs repartis chez eux après des périples sud-américains plus ou moins longs. Ces derniers temps, beaucoup ont été écourtés par la Covid. Jérôme vit au milieu des bois, au royaume de la poussière. Sur la façade de sa maison, je reconnais le drapeau Mapuches.

C’est que sa femme Claudia est Mapuches. Ils attendent un enfant pour très bientôt. Entre Jérôme et nous, le courant passe immédiatement. C’est un homme d’une quarantaine d’années, un peu ours mais aux yeux bleus pétillants. Il est profondément intègre. Nous recommandons vivement ses services à qui veut acquérir un van au Chili. Lien vers le site de Jérôme.

Nous étions impatients de voir Pingu. Mais voilà, Pingu ne correspond pas pleinement à nos attentes. Peut-être avons-nous trop projeté de rêves sur lui, je ne sais, en tout cas nous sommes déçus par sa toute petite taille, par son niveau d’aménagement et son état général. Les portes coulissantes sont gripées par l’air marin et les mois d’immobilité si bien que nous ne pouvons même pas accéder aux casiers de rangement latéraux. Jérôme m’assure que ce n’est rien, qu’il suffit de graisser le mécanisme. D’ailleurs il entreprend de démonter l’intérieur de la porte, mais il s’arrête en chemin, de peur de casser quelque chose. Il préfère avoir l’aval des propriétaires d’abord. Mais pour l’instant, les propriétaires ne sont pas disponibles.
Du coup, nous demandons à visiter d’autres véhicules dont le niveau d’aménagement est supérieur et donc, forcément aussi, le prix.

Maracas est là…

De retour à notre B&B, j’avise le propriétaire de Pingu et lui fait une offre à laquelle il ne répond pas. Chez Jérôme, nous avons vu une autre camionnette, nommée Maracas par ses propriétaires Julien et Marion, mais elle est trop chère pour nous, alors j’entame les négociations par Messenger…

Ceviche
Entre chien et lion de mer.

Le dimanche matin, nous allons faire un tour au marché aux poissons, le temps de manger notre premier ceviche chilien et de regarder le ballet des lions de mer que nourrissent les poissonniers.

En rentrant dans notre B&B, nous découvrons que Julien et Marion ont décidé d’accepter notre seconde offre. C’est la fête!
Nous passons la matinée du lundi avec Jérôme et Claudia à courir administrations et notaire pour devenir officiellement (et provisoirement) propriétaires de Maracas.

Covid oblige, de longues files d’attente s’étirent devant les banques (l’état distribue de l’argent de poche aux Chiliens pour éviter une nouvelle explosion sociale), les magasins et les administrations.
Nous décidons que nous avons le temps et que nous ne récupérons Maracas que le mercredi. Malheureusement, le gouvernement annonce que Valparaiso va régresser en phase 2 le mercredi à 5 heures: à nouveau la troupe d’Escampette doit se faire la malle!

Jérôme étant occupé toute la matinée du mardi par une autre vente, nous faisons quelques courses alimentaires pour remplir les placards de notre van, puis nous debarquons en bus à Laguna Verde vers 13 heures pour repartir presque aussitôt, non sans que Jérôme, excellent pédagogue, nous ait expliqué tout ce qu’il y avait à faire pour maintenir Maracas en bon état de marche. En chemin, nous nous arrêtons dans un garage pour faire faire  la vidange du van puis nous nous enfuyons vers le sud et la mer. Deux cents kilomètres plus loin, nous dormons sur un parking de village perdu. Cette première nuit dans Maracas nous confirme que nous avons fait le bon choix: Julien et Marion ont très bien, très joliment et très rationnellement aménagé ce van.

Grand nettoyage…

Le lendemain, nous partons pour Pichilemu, au bord du Pacifique. Nous nous installons dans un camping de cabanes entièrement désert. Nous avons en effet besoin d’un point d’eau pour faire le grand nettoyage intérieur de Maracas.

C’est aussi là que nous passerons Noël, en tongs.
Le 25, nous quittons le camping pour nous installer en face d’une plage.

Là, alors que j’écris cet article, porte littérale ouverte, un couple chilien s’approche et détaille le contenu de nos étagères. La femme désigne un paquet de cacahuètes. Elle s’imagine que nous sommes des vendeurs ambulants. Je crois que nous venons de trouver comment subvenir à nos besoins!

Ainsi commencent nos aventures sud-américaines…

5 réflexions sur « La Troupe d’Escampette »

  1. Je suis bien contente de vous retrouveret de partager vos aventures et vos horizons.
    Vous le savez de ces mois de correspondance est né un joli lien entre Joe et moi. Aprés la lecture de votre récit, je m’inquiète . Joe ne ferait il pas partie du voyage?
    Au plaisir de vous lire

  2. merci encore une fois pour ce bel article , avec les évènements je ne vous ai pas dit au revoir , je vous souhaite une nouvelle belle aventure , comme vous avez raison de fuir tout ce contexte néfaste et puis noel en tongues c’est aussi confortable que noel les pieds dans la neige à st clément !!!
    plein de bisous et bon van !!
    nini

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