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On demande rarement aux gens qui ils sont, mais plus volontiers ce qu’ils font dans la vie, comme si finalement nous nous réduisions à n’être que ce que nous faisons. L’un a été professeur de lettres; l’autre, infirmière. Pendant au moins deux ans, nous allons cesser d’ « être notre profession » pour devenir de simples voyageurs, des errants qui parcourent le monde sans rien faire de productif, au sens où l’entend notre « civilisation ». Nous ne partons pas en vacances car qui dit vacances, dit travail, et donc salaire. Nous n’aurons ni travail ni salaire. Nous n’aurons pas non plus d’adresse puisque nous ne laissons derrière nous ni maison ni appartement. Nous n’aurons donc pas de trousseau de clés pour alourdir nos poches. Nous partons avec chacun un sac sur le dos. Notre toit sera une petite tente de bivouac. Pourquoi faisons-nous cela? Parce qu’on en a envie! Et c’est la meilleure des raisons! Combien de fois dans nos vies sommes-nous vraiment en mesure de faire ce dont nous avons envie? Nous partons aussi pour voir un peu le monde! Pour rire et nous amuser. Pour profiter de la beauté des êtres et des choses. Pour être libres de notre temps. Parce que la vie, c’est maintenant! Alain & Célia

Impressions ouzbèkes

Dans le vieux bus qui nous conduit de la frontière kirghize à Andijan, en Ouzbékistan, sur la marche qui mène au compartiment du chauffeur, une jeune femme d’une trentaine d’années est assise, robe violet sombre, voile noir. Elle se tient à une barre verticale jaune, la tête appuyée contre le métal. Elle semble accablée par une infinie tristesse. La commissure de ses yeux est déjà étoilée de fines rides. J’aimerais la voir sourire et j’en fais part  à Célia en chuchotant. Comme pour m’exaucer, la jeune femme a soudain un bref sourire, découvrant des canines et des molaires en or, elle paraît furtivement amusée par ce que son mari raconte aux deux femmes assises au premier rang, mais bientôt son visage s’éteint, reléguant son sourire à de la simple politesse. Elle finit par sourire plus longuement pourtant, mais de façon lointaine, comme si elle s’était absentée d’elle-même. Ses yeux sont délavés, d’une couleur indéfinissable. Je ne sais pourquoi j’imagine un deuil. Celui d’un enfant.

La femme au regard triste est descendue…

Dans le train qui va d’Andijan à Margilan, il n’y a pas d’autres occidentaux que nous. Nous avons payé 45 centimes d’euro chacun pour faire 80 km. Dès la salle d’attente de la gare, nous avons été entrepris par un vieil homme du nom d’Abdelajon. Quelques dents en or, quelques autres manquantes, des yeux pétillants. Il a 69 ans, dit-il, mais en paraît beaucoup plus. Nous discutons maintenant avec lui par l’intermédiaire de son neveu Sordjaron qui lui-même utilise un traducteur sur son smartphone. Le vieil homme veut savoir si en France il y a des melons et des pastèques, du poisson, du kourout, s’il y fait aussi chaud qu’en Ouzbékistan, comme s’il voulait mesurer ce qui le sépare ou le rapproche de nous à l’aune de ce qui dans son pays est la norme . Et je songe à Montaigne: « Il semble que nous n’avons d’autre mire de la vérité et de la raison que l’exemple des opinions du pays où nous sommes ».
La nouvelle de notre présence dans ce train a dû circuler car le contrôleur vient nous voir pour nous proposer des places en première classe, mais nous préférons rester avec Abdelajon.
A mi-chemin, tout le monde descend sur le quai pour respirer tant la chaleur à l’intérieur est étouffante.  On nous prend en photo. On nous questionne. Tout le monde est curieux de nous. Une vraie curiosité, comme celle des enfants. Les sourires et les rires illuminent les visages de la vingtaine de personnes qui nous entourent. Leur propre étonnement leur paraît légitime mais pas le nôtre. De retour dans le wagon, les gens se parlent comme s’ils étaient de la même famille.
 Nous sommes leur sujet de conversation. Une vieille femme vêtue comme une diseuse de bonne aventure me sourit. Ainsi commencent nos jours ouzbeks.


L’Ouzbékistan ne ressemble pas au Kirghizstan. Aux montagnes du Tian Shan et du Pamir ont succédé la plaine de Ferghana et les steppes sableuses; bientôt viendra le désert de Kyzylkum.

Le niveau de vie semble plus élevé, en témoignent les maisons, le parc automobile presque entièrement constitué de Chevrolet blanches. Les auberges de jeunesse y ressemblent à des riads ou des hôtels de luxe.

« Guest house » à Margilan
Dortoir dans une « auberge de jeunesse » à Tachkent

Le métro de Tachkent est soviétique, le héros national s’appelle Amir Temur, alias Tamerlan, un conquérant turco-mogol-persan du XIVe siècle, la nourriture de base semble être la viande.

Une station de métro à Tachkent
Amir Temur (Tamerlan)

Le voyageur se sent pris en otage: en quittant le pays, nous devrons faire la preuve que nous avons dormi dans des établissements répertoriés. Il est impossible de retirer des som aux distributeurs, il faut d’abord retirer des dollars (taxés) puis les changer en monnaie locale, ce qui donne lieu à nouvelle taxe.
Nous sommes sur la route de la soie, aussi visitons-nous une fabrique, heureux d’être libres de ne rien acheter: impossible de charger davantage nos sacs, déjà que nous avons entrepris de les alléger!

Tisseuse de tapis à Margilan

Telles sont nos premières impressions ouzbèkes. Nous partons demain pour Samarcande…