Sur la route du Nord…

Une nouvelle fois la Troupe d’Escampette ( voir l’article: La troupe d’Escampette) s’est fait la malle pour éviter de se retrouver dans la nasse covidienne. Il s’agissait de passer d’un désert à un autre, de la paix de Patagonie à celle de l’Atacama, en évitant le plus possible la proximité des villes. Se tenir à l’écart, loin du bruit, loin des regards, trouver des antres secrets où nul ne va. Vivre sans masque.

Mais pour cela, il y avait d’abord une longue route, à travers le Chili le plus peuplé, le plus urbanisé, tout droit sur la Ruta 5, la Panaméricaine, sans pouvoir aller plus à l’Est, en quarantaine, ni au bord du Pacifique, en quarantaine aussi. Bientôt le ciel sera en quarantaine, et l’air avec lui.

De ce trajet sur la route du Nord, il y a quand même des choses à dire…

L’Osorno

Nous avons d’abord fait escale sur les flancs du volcan Osorno, le temps d’observer une renarde et son petit et un magnifique coucher de soleil par-dessus une mer de nuages…

L’Osorno

Puis nous avons rejoint Jan et Iva, un charmant couple de tchèques en lune de miel que nous avions déjà croisé à Puerto Yungay.

Nous avons passé l’après-midi et la soirée ensemble, cachés tous quatre dans un replis du monde. Jan et Iva ont repris la route du nord le lendemain, tandis que nous allions voir le volcan Antuco d’un peu plus près.

Entrelacements…

Nous avons musardé le reste du week-end à l’écart de la piste.

Puis nous sommes partis par la Ruta 5 à travers une région hérissée de résineux de sylviculture, froides et sombres forêts sans âme, puis une autre plantée de vignes, et d’autres encore, malades de la gale des villes. Au moment où nous passons, 65% des agglomérations chiliennes sont en quarantaine, ce qui nous contraint à avaler les kilomètres, sans pouvoir visiter l’arrière-pays. Le mardi, nous atteignons enfin l’océan, les dunes et les cactus après avoir traversé Santiago.

Santiago

En traversant la capitale chilienne, l’indéniable et effarante laideur de l’habitat humain nous saisit à la gorge une nouvelle fois, jusqu’à l’étouffement.

Et ce n’est rien encore, car bientôt nous entrons dans le désert d’Atacama qui se présente d’abord comme un reg sans fin où strictement rien ne pousse.

L’âpre beauté du vide minéral est sans cesse souillée, par les cadavres de pneus et les immondices  de bords de route, par la route elle-même, par les lignes à haute tension qui sont comme des clôtures aériennes, par d’improbables et affreuses bourgades posées sur la poussière, bientôt par les cimenteries, les carrières, les mines de cuivre, les camions-citernes qui charrient de l’acide sulfurique, les convois exceptionnels qui tirent des camions démesurés qui suffisent à dire la démesure humaine, occupée à creuser, racler, épuiser le sol.

Nous croisons des hameaux, des cabanes de bord de route comme on n’en voit que dans les fictions, road movies ou romans, faits de planches, de tôles et de poussière, sortes de purgatoires ou d’enfers où vivent des hommes et des femmes dont on se sait comment ils ont échoué là, ni pourquoi.

Echouages hideux…

Le troisième jour de route, nous nous arrêtons dans une minuscule aire de service pour camionneurs, avec l’intention d’y prendre une douche (gratuite en théorie, mais en réalité comprise sans le prix des péages qui parsèment la Ruta 5) et peut-être d’y dormir. L’endroit n’a que trois places de parking, réservées aux poids lourds. Je cherche un endroit où garer Maracas pour ne gêner personne. J’avise une cabane à une vingtaine de mètres, posée à l’écart aux franges du désert. Il y a un véhicule noir et poussiéreux qui sans doute roule encore, un cube de tôle sombre qui peut-être au temps jadis fut une cabane à frites. Je vais voir s’il y a moyen de nous cacher derrière avec notre camionnette. Derrière, il y a une mini-décharge: qui a vécu là a jeté ses ordures juste devant sa maison. Revenant à Maracas, j’entends un homme qui crie de l’autre côté de la quatre-voies, derrière la grille de l’aire de services jumelle de celle où je suis. Je devine qu’il s’agit du propriétaire de la cabane dont j’ai osé m’approcher, qui s’émeut de mon intrusion. Sans doute s’imagine-t-il que je convoite son paradis, sa déchèterie privée et sa magnifique vue sur le ruban sale de l’autoroute.

Après la douche, nous repartons pour un coin moins laid et moins bruyant. Nous nous cachons dans un « zoo de pierres », magnifique endroit où les rochers de granit semblent des animaux, hélas encore sali par les immondices laissés par les visiteurs.

Nous avons fait le choix de continuer vers le nord, sans faire le crochet  que nous avions prévu au parc Tres Cruces. Bien nous en prend car le lendemain nous apprenons que la zone sera bientôt en quarantaine…

Sur la route.
Sur la route…
Sur la route…
Fleur de cactus.

Nous roulons jusqu’à un îlot encore miraculeusement jaune (entendez en transition,  c’est-à-dire non confiné), Sierra Gorda. Nous dormons dans l’ombre épaisse du minuscule Parque Municipal, improbable endroit encore, posé sur le sable à l’écart de la ville, avec des arbres – les premiers que nous voyons depuis des centaines de kilomètres- et des jeux pour les enfants, le tout bien loin des standards européens.

Le lendemain, nous partons pour Calama, ville sans âme et mal famée, posée au bord de la plus grande mine de cuivre à ciel ouvert du monde. C’est que le Chili tire la majeure partie de sa richesse de ce cuivre dont il est le premier producteur mondial. Chaque tonne extraite génère trente tonnes de déchets. Dans le pays, on compte 740 sites de stockage de déchets miniers, la plupart situés près de Coquimbo, Antofagasta et dans l’Atacama. Voyez cet article: Chili : quand l’industrie minière assoiffe les villages et pollue l’environnement. Mais qu’importe? Le monde a besoin de cuivre et de nickel, alors…

Nous ne nous arrêterons à Calama que le temps de faire faire la révision de Maracas, car déjà nous avons roulé plus de 10000 km avec lui. Nous renonçons à faire des courses: d’interminables queues s’étirent devant tous les magasins. Il faut dire que la ville sera en quarantaine le lendemain.
Nous fuyons vers San Pedro d’Atacama…
Notre longue remontée s’achève: plus de 2200 kilomètres parcouru en 5 jours depuis Antuco, dans la poussière et le bruit. Insensiblement, nous avons pris de  l’altitude, sur la route qui nous conduit à notre premier vrai bivouac, nous sommes déjà à 3400 mètres…

Enfin le silence et la paix.

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