Quelques jours dans les îles avec Marius et Shin

Chroniques des incommensurables riens (5)

De l’Iran nous nous sommes progressivement détachés en allant flâner sur ces îles qui sont comme les péninsules démarrées de Rimbaud.
A Hormuz nous sommes partis le cœur vaillant pour faire le tour de l’île à pied, ce qui a fait rire les chauffeurs de tuk-tuk qui attendent les passagers des ferries à la sortie du port. « By walk? » se sont-ils étonnés dans un ricanement sardonique qui voulait sans doute signifier que nous allions regretter ce choix.

A pied sous le soleil…

Nous avions déjà goûté à la chaleur étouffante de Bandar-Abbas, mais ce n’était rien en comparaison de ce chaos de scorries et de sel chauffé à  blanc qu’est Hormuz. Hormuz est un sauna à ciel ouvert.
Nous sommes entrés dans la première échoppe pour acheter des pâtes, du mirza gossemi, du fromage à tartiner, du lavash et de l’eau. Le vendeur a eu la bonne idée de nous donner deux bouteilles congelées sur les quatre que nous lui avons achetées.

Cela commence mal…

Nous quittons le village par un terrain vague jonché de détritus. Hormuz a deux visages. Il y a la face sauvage, montagnes multicolores, statues de lave aux formes étranges, falaises trouées et plages de sable sang ou métalescent, et il y a la face humaine, poussiéreuse et sale, maisons délabrées, no man’s lands d’ordures jetées sur le sable et la ryolithe, naufrages de bouteilles plastique déposées sur le sable par les marées ou délibérément jetées là par les hommes.

Nous marchons, souvent dépassés par les pick-up 4×4 et les Tuk-tuk chargés de touristes qui nous font des mimiques compassées. Six kilomètres plus loin, nous pénétrons dans une caverne de sel.

Dans la caverne de sel.

Puis nous déambulons sur les « Rainbow mountains », un peu décevantes pour nous qui avons connu le Landmanalaugar islandais.

La chaleur humide est accablante. Encore quelques kilomètres et nous allons nous mettre à l’ombre des « Sunset Abbys », heureux de trouver en chemin une citerne encore pleine d’eau.

Les « Sunset Abbys »,
Les « Sunset Abbys »,
Les « Sunset Abbys »,
Les « Sunset Abbys »,

Nous montons un bivouac provisoire sur la « Silver beach » pour nous protéger du soleil au zénith, manger et nous baigner. L’eau est à au moins trente degrés.

C’est là que nous rencontrons Marius et Shin, un couple germano-coréen qui voyage depuis un an en sens inverse de nous. Lorsque Marius découvre que nous sommes venus là à pied, il s’exclame « Shit! But it’s fucking hot to walk! » Marius a un accent charmant et son juron préféré est « Super Shit! » Comme je lui dis que la mer est bonne et qu’ici on peut se baigner sans soucis, le voilà qui se jette à l’eau, tout nu! Tout naturellement, nous nous retrouvons à partager le taxi que le couple a loué pour la journée jusqu’à une plage où nous avions prévu de camper. Nous montons le camp d’abord au bord de l’eau puis, chassés par la marée, nous nous réfugions un peu plus haut

Tandis que Shin dort, Marius, Célia et moi allons longuement nous baigner sous la lune. De ce moment, il n’y a d’autre image que celle gravée dans notre rétine. Les eaux chaudes sont habitées de plancton luminescent. Le moindre geste de notre part active la lumière de ces micro-organismes. C’est comme si d’infimes billes lumineuses s’accrochaient à nos membres en mouvement. Plus le geste est lent et plus l’effet est saisissant, alors nous restons longtemps à danser avec la lumière, dans une sorte de Taï Shi aquatique, émerveillés par cette alchimie du vivant qui métamorphose nos bras en constellations. L’instant est d’une rare densité, comme une méditation chorégraphique. Nous regagnons la plage en silence.

Au matin, l’aube est d’or et d’ambre orangé. Petit miracle du début du jour.

A la belle étoile…

Nous partons à pied sur la route en chantier pour regagner le port. En chemin, une niveleuse s’arrête et nous faisons 5 ou 6 kilomètres, assis tous quatre en équilibre instable sur la vaste lame de l’engin de chantier.

Sur la route du port…

Sur l’application e.overlander que nous utilisons pour trouver des hébergements pour les backpackers, Célia a repéré un musée guest house. Nous sommes tellement sales et salés que nous proposons à nos deux amis d’y aller pour tenter d’y prendre une douche. Le musée en question abrite les oeuvres d’Ahmad Nadalian, un créateur qui expose dans le monde entier. Artiste de l’éphémère qui crée des mandalas géants avec les terres colorées des « Rainbow mountains » et sculpte des poissons sur des galets qu’il immerge ensuite dans les rivières.

Chez Ahmad Nadalian,

Finalement, nous prendrons une douche, payante, dans une maison voisine puis le bateau pour Quesm.

Là, nous faisons du stop pour arriver chez Saeed notre couchsurfer qui gère une école d’anglais. La soirée se passe à intervenir seul ou à plusieurs dans les classes de l’école.

Le lendemain, nous partons en stop pour Shib Deraz pour aller voir des dauphins. Voitures, pick-up, nous arrivons en un temps record juste au bon moment pour prendre une barque à  moteur(1,4 dollar) et nous mettre en chasse des dauphins. C’est toujours un moment intense que d’attendre en scrutant les eaux, le regard tendu vers l’horizon…

Nous verrons une bonne trentaine de dauphins ainsi que des poissons volants, des gazelles des îles, des crabes et des poissons bleus.

Nous repartons en stop pour le canyon de Chahkooh.

Nous voyageons dans la benne d’un camion, en voiture, en pick-up jusqu’à être déposés à l’entrée même du canyon.

Dans la benne d’un camion

Marius pousse plus loin l’exploration que moi et à force de grimper se retrouve dans l’impossibilité de redescendre.

Il trouve finalement une autre voie par le haut, ce qui lui permet de découvrir un merveilleux endroit pour bivouaquer. La soirée se passe au coin du feu, sous le regard de la lune. Marius a sorti une petite enceinte et nous écoutons America chanter « A horse with no name » ou Coldplay « We live in a beautiful world ».

Marius et Shin

Ce sont des instants simples et doux, si proches d’autres veillées vécues à l’adolescence que j’en ai les larmes aux yeux. A cet instant, je ressens profondément la chance que j’ai, comme si tout m’était à nouveau donné, et je bénis Célia de partager ces secondes et ma vie. On n’est pas sérieux quand on a 55 ans, voilà que soudain on chausse des semelles de vent et qu’on se met à vagabonder dans les îles du golfe persique en riant comme si on avait quinze ans.

Au matin…

Au matin, après avoir puisé l’eau dans un puits pour nous laver, nous marchons dans un désert jusqu’à la route, elle aussi déserte.

Shin…

En seulement deux stops, nous regagnons Bandar-Abbas. Là, nous quittons Marius et Shin. Chacun sa route. Ainsi en est-il des voyageurs, ils se quittent comme ils se sont rencontrés, simplement. Entre, il y a eu des instants pleins comme des œufs. Nous les avons gobés avec avidité. Marius et Shin. Peut-être nous reverrons-nous, quelque part sur la peau du monde…

Ainsi s’achève notre voyage en Iran…

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